Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/180

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eût trouvé moyen de s’exercer, quand même il ne l’eût pas appliqué au négoce. Ses richesses se sont accumulées, parce que, sobre et modéré dans ses habitudes, il ne s’est pas créé de nouvelles sources de dépenses. Il hait la dissimulation chez les autres, n’y a jamais recours lui-même ; il est surtout habile à découvrir la vérité sous les plus spécieuses formes du langage. Silencieux par habitude, il n’aime pas les grands parleurs, surtout quand la conversation ne touche point aux choses qui l’intéressent exclusivement. Il est très-rigide dans la pratique de ses devoirs religieux ; mais vous n’avez point à craindre qu’il s’occupe des vôtres, car il regarde la tolérance comme un principe sacré d’économie politique. Mais si vous avez des opinions jacobites, comme il est naturel de le supposer, vous ferez bien de ne les point montrer en sa présence, ou au moins de ne les exprimer qu’avec beaucoup de modération, car il les a en horreur. Du reste, sa parole est une loi pour lui ; elle doit aussi être celle de tous ceux qui lui sont soumis ; il ne manque jamais à ce qu’il doit, il ne souffrira jamais qu’on y manque envers lui. Pour gagner ses bonnes grâces, il vous faudra exécuter ses ordres et non les applaudir. Son plus grand défaut, qui naît des préjugés de sa profession, ou plutôt du dévouement qui l’y attache, c’est de faire peu de cas de tout ce qui n’a point quelque rapport avec le commerce.

— Voilà un portrait admirable ! s’écria Rashleigh quand j’eus cessé de parler. Van Dyck n’était qu’un barbouilleur auprès de vous, Frank. Je vois votre père devant moi avec ses qualités et ses défauts ; aimant et honorant le roi comme une sorte de lord-maire et de chef du conseil de commerce ; vénérant les communes, parce qu’elles font les actes qui règlent le commerce d’exportation ; et respectant les pairs, parce que le chancelier est assis sur une balle de laine.

— Mon portrait était ressemblant, Rashleigh ; le vôtre est une caricature. Mais, puisque je vous ai fait connaître la carte du pays, donnez-moi en revanche quelques lumières sur la géographie des terres inconnues…

— Où vous avez fait naufrage ? dit Rashleigh ; cela n’en vaut pas la peine. Ce n’est point l’île de Calypso avec son labyrinthe de bosquets touffus, mais un fangeux marais du nord, aussi peu fait pour intéresser la curiosité que pour charmer les yeux. Vous pouvez les connaître en une demi-heure d’observation aussi