Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/177

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naires, étaient enfin parvenus à enlever les restes de notre substantiel déjeuner. Je saisis ce moment pour lui reprocher la manière dont il avait parlé de mon affaire à son père. Je lui dis franchement que j’avais trouvé fort singulier qu’il engageât plutôt sir Hildebrand à cacher ses soupçons qu’à les écarter tout à fait.

« Que pouvais-je faire, mon cher ami ? répondit Rashleigh ; mon père est si opiniâtre quand il s’est fourré quelque chose dans la tête (ce qui, pour lui rendre justice, n’arrive pas souvent), que j’ai reconnu qu’il valait beaucoup mieux l’engager à les dissimuler que de discuter avec lui ; ainsi, ne pouvant déraciner complètement ses préventions, je les coupe, chaque fois qu’elles se montrent, jusqu’à ce qu’elles meurent d’elles-mêmes. Il n’y a ni sagesse ni profit à discuter avec un esprit comme celui de sir Hildebrand, qui s’arme contre les convictions, et qui croit aussi fermement à ses propres inspirations que nous autres, bons catholiques, à celles de notre saint père de Rome.

— Cependant il m’est bien pénible de vivre dans la maison d’un homme, mon proche parent, qui persiste à me croire coupable d’un vol de grand chemin.

— La folle opinion de mon père, si l’on peut donner cette épithète à l’opinion d’un père, n’attaque point au fond votre innocence ; quant à la culpabilité du fait, soyez sûr que, sous son rapport politique et moral, sir Hildebrand le regarde comme une action méritoire qui affaiblit l’ennemi, dépouille les Amalécites ; et il vous en estimera davantage en croyant que vous y avez pris part.

— Monsieur Rashleigh, je ne désire point acheter l’estime d’un homme par des actions qui me feraient perdre la mienne, et je pense que ces soupçons injurieux me fourniront un excellent motif pour quitter Osbaldistone-Hall, ce que je ferai dès que je pourrai correspondre avec mon père sur ce sujet. »

Rashleigh, quelque habitué qu’il fût à maîtriser ses émotions, ne put empêcher un léger sourire de sillonner son visage sinistre, tandis qu’il poussait un soupir affecté.

« Vous êtes heureux, vous, Frank ; vous allez et venez comme il vous plaît, aussi libre que le vent qui souffle où il veut. Avec votre goût, vos talents, vous trouverez bientôt des sociétés où ils seront mieux appréciés que parmi les habitants stupides de ce château ; tandis que moi… » Il s’arrêta.

« Et qu’y a-t-il dans votre sort qui puisse vous faire envier le