Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/139

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d’audience soit toujours bien garnie : le juge en perd la tête. Enfin il n’est pas à dix milles à la ronde une marchande de pommes qui puisse faire son compte avec la fruitière sans une audience, que le juge voudrait bien refuser, mais que son malin clerc, M. Joseph Jobson, sait lui faire obtenir. Les scènes les plus ridicules ont lieu quand les affaires qui viennent devant eux ont, comme la vôtre, une teinte politique. M. Joseph Jobson (et il a de fort bonnes raisons pour cela) est un zélé défenseur de la religion protestante et non moins chaud partisan de la révolution opérée dans l’État que de la réforme opérée dans l’Église. De son côté, le digne magistrat tient encore, par habitude, aux opinions qu’il professa avant le jour où il se relâcha de ses principes politiques dans le but patriotique de faire observer les lois contre les destructeurs non autorisés de la bête fauve, des coqs de bruyère, des perdrix et des lièvres ; et il se trouve fort embarrassé quand le zèle de son clerc l’entraîne dans des procédures judiciaires qui ont rapport à son ancienne croyance : au lieu de seconder cette ardeur, il manque rarement d’y répondre par une double dose d’indolence et d’inactivité. Cette indolence ne vient pas toutefois d’une véritable apathie : au contraire, pour un homme qui met tout son plaisir à boire et à manger, il est vif et gai, c’est un bon vieux vivant ; mais c’est ce qui rend sa nonchalance affectée plus plaisante encore. En pareille occasion, il faut voir Joseph Jobson semblable à une haridelle poussive attelée à une charrette pesante, s’agiter, se démener, crier pour mettre le juge en mouvement, tandis que le poids énorme de la machine dont les roues gémissent, craquent et tournent à peine, résiste à tous les efforts du courageux quadrupède qui ne peut la faire avancer qu’imperceptiblement. Le malheureux bidet a encore un autre sujet de plainte : cette même machine qu’il a souvent tant de peine à mettre en mouvement, roule parfois un train d’enfer, entraînant avec elle le cheval qui cherche vainement à l’arrêter, et cela quand il s’agit de rendre service à quelque ancien ami de M. Inglewood. M. Jobson dit alors qu’il porterait plainte au secrétaire d’état pour le département de l’intérieur, s’il n’était retenu par l’intérêt et l’amitié toute particulière qu’il porte à M. Inglewood et à sa famille. »

Comme miss Vernon terminait cette description grotesque, nous arrivâmes en face du château d’Inglewood, édifice superbe quoique ancien, qui annonçait l’importance de cette famille.