Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/128

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voudrais voir levé si bien que, de la fin d’une année à la fin d’une autre, je suis encore là. Et si je vous disais que pour sûr je quitte à la Chandeleur, je n’en serais pas plus certain qu’il y a vingt ans ; après tout, je me retrouverais encore ici bêchant mes plates-bandes… Apprenez cependant, pour dégoiser toute l’histoire à Votre Honneur, qu’André n’a pu trouver de meilleure place ; mais si Votre Honneur voulait seulement m’en indiquer une où j’entendrais la pure doctrine, où j’aurais de l’herbe de quoi nourrir une vache, une chaumière, un arpent de terre, et plus de dix livres par an pour mes gages, et où il n’y eut pas de dames de ville pour compter les pêches, je vous serais bien redevable.

— Bravo, André ? je vois que si vous ne trouvez pas, ce n’est pas faute de demander.

— Et pourquoi non, s’il vous plaît ? Faut-il attendre des siècles pour qu’on découvre enfin nos talents ?

— Mais il me semble que vous n’aimez guère les femmes ?

— Non, par ma foi ! depuis le père Adam, elles sont la damnation des jardiniers. Tenez ! ce sont de mauvaises pratiques ; elles sont toujours après les abricots, les poires, les pêches, les pommes, été comme hiver, sans songer aux saisons. Mais, Dieu soit loué ! nous n’avons pas de ces pestes-là ici, excepté la vieille Marthe ; et encore elle est assez contente quand je laisse les bambins de sa sœur cueillir les mûres de la haie lorsqu’ils viennent prendre le thé les dimanches dans la loge du concierge, et quand je lui donne, de temps à autre, dans la semaine, des poires cuites pour son souper.

— Vous oubliez votre jeune maîtresse.

— Quelle maîtresse que j’oublie ? Qui voulez-vous dire ?

— Votre jeune maîtresse, miss Vernon.

— Ah ! la jeune miss Vernon ? Elle n’est pas ma maîtresse, monsieur. Je souhaiterais qu’elle fût sa maîtresse, et je souhaite aussi qu’elle ne soit la maîtresse de personne d’ici long-temps. C’est un fameux brin de fille, allez !

— En vérité ! m’écriai-je, intéressé plus vivement que je n’osais me l’avouer ou le lui laisser voir. Mais, André, vous connaissez tous les secrets de la famille ?

— Si je les connais, je dois les garder, répondit André ; ils ne travailleront pas dans ma bouche comme de l’orge dans un tonneau, je vous jure. Miss Die est… mais ce n’est ni bœuf ni bouillon pour moi. »