Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/120

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saient que ce défaut, résultat d’une mauvaise habitude, n’était pas assez grave pour l’empêcher d’être prêtre.

Tels étaient les traits de Rashleigh, qu’après les avoir considérés un instant il était impossible de les bannir de sa mémoire, et qu’on éprouvait toujours un pénible désir de les revoir, quoiqu’on n’y arrêtât jamais les yeux qu’avec un sentiment de déplaisir et même de dégoût. Ce n’était pas sa figure en elle-même qui produisait cette forte impression. Ses traits, quoique irréguliers, n’étaient pas communs ; ses yeux vifs et noirs, ses épais sourcils, empêchaient que son visage ne fût d’une laideur ordinaire ; mais il y avait dans son regard une expression d’artifice et de dissimulation, ou, si on le provoquait, de férocité tempérée par la prudence, qui sautait aux yeux du physionomiste le moins exercé. Peut-être la nature la lui avait-elle donnée par la même raison qu’elle a donné des sonnettes au serpent le plus venimeux. Comme pour racheter ces désavantages extérieurs, Rashleigh Osbaldistone avait la voix la plus douce, la plus tendre, la plus mélodieuse, et sa manière de s’exprimer sur toutes sortes de sujets rendait plus sensible encore la beauté de son organe. À peine eut-il prononcé sa première phrase de félicitations, que je reconnus avec miss Vernon que mon nouveau cousin ferait aisément la conquête d’une maîtresse dont les oreilles seules pourraient juger de son mérite. Il allait se mettre à table à côté de moi ; mais miss Vernon, qui, étant la seule de son sexe au milieu de cette famille, avait le privilège d’arranger ces petites choses à son gré, parvint à me placer entre elle et Thorncliff, et l’on se doute bien que je consentis de bon cœur à un arrangement si agréable.

« J’ai besoin de vous parler, dit-elle : c’est dans cette intention que j’ai mis l’honnête Thornie entre Rashleigh et vous,


Comme un vieux matelas protégeant la maison
Contre le coup pesant d’un boulet de canon ;


et, en ma qualité de votre plus ancienne connaissance dans cette spirituelle famille, j’en profite pour vous demander comment vous nous trouvez tous.

— C’est une question bien étendue, miss Vernon, car il y a bien peu de temps que je suis au château d’Osbaldistone.

— Oh ! la philosophie de votre famille est toute superficielle. Il y a entre les individus de légères nuances qui exigent l’œil d’un