Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place au torrent des faits, et bien des fois une guerre, entamée pour des points de droit métaphysique, s’est enfin terminée, à la satisfaction générale, dans le simple espoir de rétablir la tranquillité publique ; de même que souvent, après un long siège, une garnison consent à se rendre sans autre condition que la vie sauve.

Le colonel Éverard reconnaissait donc que s’il appuyait les prétentions de Cromwell, c’était seulement dans cette conviction qu’ayant le choix des maux il fallait prendre le moindre, c’est-à-dire laisser le pouvoir à un homme que sa sagesse et sa valeur comme général avaient mis à la tête du gouvernement ; et il ne se dissimulait pas qu’Olivier lui-même trouvait probablement son affection tiède et imparfaite, et mesurait proportionnellement sa reconnaissance.

Néanmoins les circonstances le forçaient à éprouver l’amitié du général. Le séquestre était mis sur Woodstock, et le mandat qui ordonnait aux commissaires d’en disposer comme d’un bien national, était prêt depuis long-temps ; mais le crédit d’Éverard père en avait fait différer l’exécution de mois en mois et de semaine en semaine. L’heure approchait où le coup ne pouvait plus être paré, surtout depuis que sir Henri Lee s’était formellement refusé à reconnaître le gouvernement existant, et se trouvait, par ce fait seul, maintenant que l’heure de grâce était passée, inscrit sur la liste des malveillants entêtés et incorrigibles que le conseil d’état était déterminé à ne plus ménager. Le seul moyen de protéger encore le vieux chevalier et sa fille était d’intéresser, si faire se pouvait, le général personnellement à cette affaire ; et repassant dans sa mémoire toutes les circonstances de sa liaison avec lui, le colonel Éverard sentait qu’une demande qui blesserait si directement les intérêts de Desborough, beau-frère de Cromwell, et l’un des commissaires en question, allait mettre l’amitié de celui-ci à une rude épreuve : mais il n’y avait pas à choisir.

Dans cette vue, et à la demande même de Cromwell, qui en le quittant l’avait prié de lui écrire son opinion sur les affaires publiques, le colonel Éverard passa la plus grande partie de la nuit à mettre en ordre ses idées sur l’état de la république, d’après un plan qu’il croyait être agréable à Cromwell ; il l’exhortait à devenir, avec l’aide de la Providence, le sauveur de l’Angleterre, en convoquant un parlement libre, et en se mettant, avec le secours de cette assemblée, à la tête de quelque forme de gouvernement libéral et stable, qui pût sauver la nation de l’anarchie où elle