Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/88

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lumières, mit plus de bois dans le feu, et les deux étrangers furent introduits dans le salon de Lee Victor, ainsi nommé à cause du tableau qui ornait la cheminée, et dont nous avons déjà parlé. Il fallut plusieurs minutes au colonel Éverard pour reprendre son air calme et stoïque, tant il était vivement ému de se trouver dans l’appartement même où il avait passé les heures les plus heureuses de sa vie ! C’était ce cabinet qu’il avait vu s’ouvrir avec de si grands transports de joie, quand sir Henri daignait lui donner des instructions sur la pêche et lui montrer ses hameçons et ses lignes avec toutes les drogues propres à fabriquer un appât artificiel alors peu connu. C’était aussi l’ancien portrait de famille qui, d’après quelques expressions bizarres et mystérieuses de son oncle, était devenu pour lui, dans son enfance et même dans sa première jeunesse, un sujet de curiosité et de crainte. Il se rappelait comment, lorsqu’on le laissait seul dans l’appartement, les yeux scrutateurs du vieux guerrier semblaient toujours fixés sur les siens dans quelque partie de la chambre qu’il se plaçât, et son imagination d’enfant était épouvantée d’un phénomène dont il ne pouvait se rendre compte.

Puis des milliers de souvenirs, plus chers et plus doux les uns que les autres, vinrent l’assaillir en songeant à l’amour qu’il avait conçu si jeune encore pour sa jolie cousine Alice, quand il l’aidait dans ses leçons, apportait de l’eau pour ses fleurs, ou l’accompagnait lorsqu’elle chantait. Il se rappelait encore que, tandis que son père les regardait avec un sourire de bonne humeur et d’insouciance, il lui avait entendu dire : « Et quand cela serait… ma foi, ils n’y perdraient ni l’un ni l’autre. » Quel espoir de bonheur il avait fondé sur ces paroles ! Tous ces rêves avaient été dissipés par la trompette guerrière qui entraîna sir Henri Lee et son neveu sous des drapeaux différents ; et l’entrevue de la journée prouvait clairement que les succès même d’Éverard, comme soldat et comme homme d’état, semblaient lui interdire absolument toute espérance,

Il fut tiré de cette pénible rêverie par l’arrivée de Jocelin, qui, buveur habitué peut-être, avait fait de nouveaux préparatifs avec plus de promptitude qu’on n’aurait pu l’attendre d’un homme qui s’était occupé comme lui depuis la chute du jour.

Il venait, disait-il, recevoir les ordres du colonel pour la nuit. « Souhaite-t-il prendre quelque chose ? — Non. — Son Honneur voudrait-il de préférence coucher dans le lit de sir Henri Lee, qui