Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/84

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Vraiment ? — Oui, en vérité, pour parler votre langage. Ma foi, en traversant le parc pour vous rejoindre, il y a une demi-heure au plus, j’ai vu de la lainière à la Loge… Tenez, d’ici vous l’apercevrez vous-même. — À l’angle du nord-ouest… C’est à une fenêtre de ce qu’on appelle l’appartement de Lee Victor. — Ah ! reprit Wildrake, c’est que j’ai servi long-temps dans les troupes légères de Landsfort, et je connaissais bien le métier de l’éclaireur… Que je meure, me suis-je dit, si je laisse une lumière derrière moi sans savoir d’où elle vient ! D’ailleurs, Mark, tu m’as tant parlé de ta jolie cousine, que si j’avais pu la voir, ne fût-ce qu’un moment, c’était toujours autant. — Inconsidéré, incorrigible jeune homme… à quels dangers vous exposez vous et vos amis, par pure fanfaronade !… Mais ensuite… — Par ce beau clair de lune ! je crois que vous êtes jaloux, Mark Éverard : ce n’est pourtant pas la peine ; car, en cas qu’il m’eût été possible de voir la belle, mon honneur mettait en sûreté les charmes de la Chloé de mon ami… et puis la belle ne devait pas me voir : elle ne pouvait donc faire de comparaison à ton désavantage, tu comprends. Enfin l’issue fut que nous ne nous vîmes ni l’un ni l’autre. — Je le sais parfaitement ; mistress Alice a quitté la Loge bien avant le coucher du soleil, et n’y est pas revenue. Mais qu’as-tu vu qui réponde à une telle préface ? — Ah ! pas grand’chose ; seulement en grimpant sur une espèce de pilier, car je sais grimper aussi bien que chat qui ait jamais parcouru les gouttières, et en m’accrochant aux treilles et aux vignes vierges qui poussent à l’entour, je suis parvenu dans un endroit d’où j’ai pu voir dans l’intérieur de ce même salon dont tu viens de me parler. — Eh bien ! qu’as-tu vu ? — Ah ! pas grand’chose, comme je vous l’ai déjà dit ; car dans ce temps-ci ce n’est pas chose nouvelle que de voir des rustres prendre leurs aises dans des appartements de rois ou de nobles. J’ai vu deux malotrus occupés à vider solennellement une cruche d’eau-de-vie et à dévorer un énorme pâté de venaison, qu’ils avaient placé, pour plus de commodité, sur une table à ouvrage de dame. L’un d’eux essayait un air sur un luth. — Ah ! les maudits profanes, s’écria Éverard ; c’était celui d’Alice. — Bien dit, camarade, je suis charmé d’avoir pu émouvoir votre flegme. Mais le luth et la table sont des incidents de mon invention, pour voir s’il était possible de tirer de vous une étincelle d’humanité, tout sanctifié que vous êtes. — Et quelle était la tournure de ces hommes ? — L’un avait un grand chapeau rabattu, un long manteau, et une vraie figure de fanatique, comme vous tous. J’ai