Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pâté de venaison qui est si épicé, un ou deux petits pains, et c’est tout. — Eh bien ! cela suffira au besoin… Entoure ton joli corps de ton manteau… Prends un panier avec une couple de couteaux et de serviettes, car tout cela est bien rare chez moi. Mets-y le chapon et les petits pains… Nous garderons le pâté pour le soldat et pour moi, et la croûte nous servira de pain. — Admirable ! dit Phœbé ; j’ai fait le pâté moi-même… Et la croûte est aussi épaisse que les murs de la tour de la belle Rosemonde. — Si l’ouvrage est aussi solide, répliqua le garde, nos deux mâchoires auront de la besogne pour l’entamer. Mais qu’y a-t-il à boire ? — Rien qu’une bouteille d’Alicante, une de vin sec, et une pleine cruche d’eau-de-vie, répondit Phœbé. — Mets aussi les bouteilles dans ton panier, dit Jocelin ; le chevalier aura du moins son coup du soir… Et cours sans retard à ma hutte ; il y a de quoi souper, et demain… Ah ! par le ciel, je croyais que l’œil de cet homme nous observait… Non… il est plongé dans ses sombres méditations… profondes sans doute comme sont toutes les leurs… Mais, diable m’emporte ! c’est qu’il n’aura point de fond, si je n’ai pas réussi à le sonder avant le jour… Eh bien, pars donc, Phœbé. »

Mais Phœbé était une coquette de village ; et voyant que Jocelin n’était pas à même de profiter de l’occasion qu’elle lui donnait à dessein, elle lui dit bas à l’oreille : « Croyez-vous donc que l’ami de notre maître, Shakspeare, soit réellement coupable de toutes les perversités que ce monsieur lui reproche ? »

À ces mots elle s’échappa comme un éclair, tandis que Joliffe la menaçait du doigt de se venger par la suite, tout en murmurant : « Va ton chemin, Phœbé Fleur-de-Mai, fille au pied et au cœur le plus léger qui foula jamais le gazon du parc de Woodstock ! Derrière elle, Bévis, et conduis-la bravement à ma hutte vers notre maître. »

L’énorme lévrier se leva comme un domestique qui aurait reçu un ordre, et suivit Phœbé dans le vestibule, lui léchant d’abord les mains pour lui faire comprendre qu’il était là, puis prenant le demi-trot, de manière à suivre le pas léger de celle qu’il escortait, et dont Jocelin n’avait pas vanté sans raison l’agilité. Mais laissons Phœbé et son défenseur parcourir les clairières de la forêt, et retournons à la Loge.

L’indépendant parut alors comme sortir tout-à-coup d’une profonde rêverie. « La jeune fille est elle partie ? demanda-t-il. — Ma foi oui, répliqua le garde ; et si Votre Seigneurie a des ordres à