Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/63

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un sermon sur le vice : « Comment ! s’écria-t-il, effrontés et impudents que vous êtes !… Quoi !… de la débauche, de la prostitution en ma présence !… Comment, faire des impuretés en face de l’envoyé des commissaires de la haute cour du parlement, comme si vous étiez dans une cabane en plein air, ou bien au milieu des entrechats et des balancés d’une profane école de danse, lorsque d’impurs musiciens jouent sur leurs instruments maudits : Baisez-moi et soyez tendre, le musicien est aveugle[1]… Mais voilà, » dit-il, en frappant vigoureusement sur le volume… « voilà le roi et le grand maître de ces vices et de ces folies ! celui que des fous et des profanes appellent le miracle de la nature !… Le voilà celui que des princes prennent pour secrétaire, et que les filles d’honneur placent sous leur oreiller et se donnent pour compagnon de lit !… Le voilà le professeur par excellence de belles phrases, de sottises et de vanités !… le voilà ! » Il frappa de nouveau sur le volume, « Oui, c’est toi ! (Membres révérés de Roxburgh[2], c’était le premier in-folio… Membres chéris du Bannatyne, c’était Hemmings et Condel… c’était l’editio princeps…) c’est toi, ce sont tes œuvres, William Shakspeare, qui enfantent la débauche, la paresse, l’impureté, et tous les vices qui ont souillé le pays depuis le jour où tu parus ! — Par la messe ! voilà une accusation bien sévère ! » dit Jocelin qui ne pouvait maîtriser plus long-temps la franchise hardie de son caractère. « Cent mille diables ! le vieux favori de notre maître, William de Stratford doit-il être responsable de tous les baisers qui ont été pris et donnés depuis le règne de Jacques ?… C’est un compte difficile, en vérité !… Mais qui donc répondra de tout ce qu’ont fait garçons et filles avant lui ? — Ne plaisante pas, dit le soldat, de peur qu’obéissant à la voix intérieure qui me commande, je ne frotte tes épaules comme à un vil coquin. Je le dis en vérité, depuis que le diable est tombé du ciel, il n’a jamais manqué d’argent sur la terre ; mais jamais aussi il n’a rencontré de démon possédant un pouvoir si étendu sur les âmes des hommes que cet empoisonneur de Shakspeare. Une femme s’est-elle rendue coupable d’adultère, elle trouve une excuse dans ce livre… Un homme veut-il savoir comment il faut s’y prendre pour assassiner, il y trouve des leçons… Une jeune fille veut-elle épouser un nègre païen, elle y puise sa justification… Veut-on injurier le Créateur, ce livre n’est que blasphèmes… Veut-on défier son frère selon la

  1. Refrain de ronde anglaise. a. m.
  2. Société de bibliophiles qui porte le nom de Roxburgh son fondateur. a. m.