Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/404

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l’avais oublié, mais le diable s’en est souvenu pour moi. — C’était bien mal à vous de faire un vœu si criminel ; mais c’eût été bien pire si vous eussiez cherché à le remplir. Reprenez courage, car dans cette malheureuse affaire, je n’aurais pas souhaité, après ce que vous m’avez conté, Phœbé et vous, que vous l’eussiez épargné, quoique je regrette que le coup ait été mortel. Après tout, tu n’as fait qu’agir comme le grand législateur inspiré, lorsqu’il vit un Égyptien tyranniser un Hébreu, à l’exception cependant que dans le cas présent, c’était une femme : or, comme disent les Septante, Percussum Ægyptium abscondit sabulo[1] ; je vous expliquerai un autre jour ce que cela signifie. En conséquence, je vous exhorte à ne pas vous chagriner outre mesure ; car, quoique l’accident soit malheureux en raison du temps et de l’endroit où il est arrivé, cependant, d’après ce que Phœbé m’a appris de ce misérable, il est à regretter qu’on ne lui ait pas fait sauter la cervelle dès sa naissance, plutôt que de le laisser vivre pour qu’il s’affiliât aux Grindlestoniens ou Muggletoniens, en qui la perfection de chaque hérésie hideuse et blasphématoire s’unit à une pratique continuelle de complaisance hypocrite, qui abuserait même leur maître, jusqu’à Satan ! — Néanmoins, monsieur, j’espère que vous direz une partie du service des morts sur ce pauvre homme ; ce fut son dernier désir, et il vous nomma en même temps. Si vous vous y refusiez, je n’oserais plus, je crois, marcher encore dans l’obscurité, de toute ma vie. — Tu n’es qu’un sot ! mais cependant, s’il m’a nommé en partant pour le grand voyage, et s’il a désiré les cérémonies funèbres de l’Église, c’était peut-être parce qu’il renonçait au mal pour revenir au bien dans ses derniers instants ; et si le ciel lui a accordé la grâce de former une prière si convenable, pourquoi ne me conformerais-je pas à ses désirs ? tout ce que je crains, c’est de n’en avoir pas le temps. — Bah ! Votre Révérence peut abréger le service : assurément, il ne le mérite pas en entier ; seulement, si on ne lui en récitait pas quelque chose, je pense qu’il me faudrait quitter le pays. Telles furent ses dernières paroles, et je crois qu’il a envoyé Bévis avec son gant pour me les rappeler. — Oh ! l’imbécile !… croyez-vous que les morts envoient des gantelets aux vivants, comme des chevaliers dans des cartels de romans. Je vais vous expliquer la chose assez clairement : Bévis, en rôdant, a trouvé le cadavre, et vous a apporté le gant pour indiquer où il était, et demander du secours ; car tel est l’instinct surprenant de ces ani-

  1. Il cacha sous le sable l’Égyptien tué. a. m.