Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyant avoir suffisamment reconnu la personne à qui il s’adressait. Maître Kerneguy n’était pas en position de faire le pointilleux ; il le salua gravement, comme pour indiquer qu’il se contentait de ses excuses, fit un demi-tour et prit la direction de la Loge, du moins à ce qu’il croyait, car il avait traversé les bois coupés par diverses allées de différents côtés, trop rapidement pour être bien sûr de la route qu’il avait à prendre pour arriver au lieu où il voulait se rendre.

Il fut fort contrarié en s’apercevant que cela ne le débarrassait pas du compagnon qu’il avait acquis si involontairement. Marchait-il doucement, hâtait-il le pas, l’étranger, à l’extérieur décent, mais empreint de puritanisme, vigoureux de sa personne, bien armé, ainsi que nous l’avons décrit, semblait résolu à lui tenir compagnie, et sans chercher à rester à son côté ou à lui parler, il ne le laissait jamais en avance de plus de deux ou trois pas. Le monarque déguisé hâta la marche ; mais quoiqu’il fût alors, ainsi qu’il l’a même encore été dans un âge plus avancé, un des meilleurs marcheurs de la Grande-Bretagne, l’étranger, sans avoir besoin de courir, le suivait toujours de près. Son opiniâtreté devint si constante et si inévitable que Charles en sentit son orgueil blessé, et qu’il en conçut aussi quelques craintes ; il fit réflexion que, quelque danger qu’eût pour lui une rencontre seul à seul avec cet homme, il serait encore mieux pour lui qu’ils vidassent leur querelle dans la forêt, plutôt que dans quelque endroit voisin d’une habitation où l’homme qui paraissait jouir de quelque autorité, trouverait des amis disposés à l’assister.

Animé par l’inquiétude, le dépit et la colère, Charles se tourna brusquement vers celui qui le suivait, au moment où ils arrivaient à une allée étroite qui conduisait à la petite pelouse sur laquelle dominait le chêne du roi, dont le tronc gigantesque et les branches noircies et desséchées formaient un coup d’œil charmant à l’extrémité de cette avenue sauvage.

« Monsieur, lui dit-il, vous vous êtes déjà rendu coupable envers moi d’un acte d’impolitesse : vous m’en avez demandé pardon, et ne voyant pas de motif qui eût pu vous porter à me choisir pour l’objet de vos incivilités, j’ai accepté vos excuses sans difficulté ; qu’avez-vous encore à me dire pour vous attacher ainsi à mes pas ? Je me ferais un plaisir de vous donner une explication ou une satisfaction, selon que le cas l’exigera. Je pense que vous n’avez pas de ressentiment contre moi, car je n’ai jamais eu le plaisir de vous