Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/292

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dit d’une voix un peu altérée : « Il paraît, à ce que je vois, mistress Alice Lee, que les bons amis qui vous ont fait le portrait de ce pauvre roi, l’ont aussi maltraité sous le rapport de la moralité que de la figure. — Vous avez été mieux que moi à même d’en juger, monsieur ; mais le bruit public l’accuse d’une licence qui, de quelque manière que les courtisans l’excusent, ne convient pas, pour ne rien dire de plus, au fils du martyr. Je serais heureuse si ces bruits étaient contredits par des personnes mieux informées. — Je suis étonné, dit sir Henri Lee, que vous soyez assez folle, Alice, pour faire allusion à de pareilles choses : ce sont de pures calomnies inventées par les coquins qui ont usurpé le gouvernement, des contes imaginés par nos ennemis. — Monsieur, » dit Kerneguy en riant, « votre zèle ne doit point vous porter à imputer à nos ennemis les calomnies dont ils ne sont pas coupables. Mistress Alice m’a fait une question : je puis seulement répondre que personne ne peut être plus dévoué que je ne le suis au roi, que je suis enthousiaste de ses mérites, et aveugle pour ses défauts ; en un mot, que je serais le dernier homme au monde à abandonner sa cause, tant qu’elle sera tenable. Néanmoins, je dois avouer que, si la morale un peu relâchée de son grand’père, le roi de Navarre, n’est pas tout-à-fait la sienne, le pauvre Charles a pris sa part de certains défauts qui ternirent la gloire de ce grand prince… j’avoue qu’il a le cœur un peu tendre près de la beauté… Ne le blâmez pas trop sévèrement, jolie mistress Alice ; quand le malheureux destin d’un homme l’a placé au milieu des ronces, on serait cruel de lui défendre de cueillir quelques roses qu’il rencontre parmi elles. »

Alice, qui pensait probablement en avoir dit assez, s’était levée pendant que maître Kerneguy parlait, et sortit avant qu’il eût achevé, n’ayant pas l’air d’entendre la question qu’il lui adressait en finissant. Son père approuva son départ ; il ne pensait pas que la tournure que Kerneguy avait donnée à l’entretien convînt beaucoup aux oreilles de sa fille ; et désirant rompre la conversation sans blesser les convenances : « Je vois, dit-il, que c’est le moment où, comme dit Will, les affaires du ménage réclament la présence de ma fille ; je vous inviterai donc, jeune homme, à prendre un peu d’exercice, en faisant assaut avec moi à la rapière seule ou à la rapière et au poignard, ou avec vos armes nationales, la claymore et le bouclier ; pour tous ces exercices, ou pour tout autre que vous voudrez choisir, nous trouverons tout ce