Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/285

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temps, et tous paraissaient contents, à l’exception d’Albert, qui aurait pourtant eu grand’peine à justifier son silence.

Les débris du déjeuner furent enfin enlevés, grâce aux soins de l’active et gentille Phœbé, qui plus d’une fois regarda par dessus son épaule et s’arrêta même pour écouter le feu roulant de paroles lancées par leur nouvel hôte, qu’elle avait le soir précédent, tandis qu’elle servait le souper, jugé comme le plus stupide des étrangers à qui se fussent ouvertes les portes de Woodstock depuis le temps de la belle Rosemonde.

Quand ils furent seuls dans l’appartement, et qu’ils ne furent plus troublés par l’interruption des domestiques, ni par le bruit continuel qu’avait occasionné le service ou la desserte du déjeuner, Louis Kerneguy parut s’apercevoir davantage que son ami et son patron en apparence, qu’Albert enfin, ne devait pas rester toujours sans prendre part à la conversation, tandis qu’il réussissait lui-même à se concilier l’attention des membres de la famille qu’il ne connaissait que de la veille. Il alla donc se placer derrière lui, et s’appuyant sur le dos de sa chaise, dit d’un ton de bonne humeur qui rendait son intention complètement intelligible :

« Ou mon bon ami, mon guide, mon patron, a appris ce matin de trop mauvaises nouvelles pour oser nous les dire, ou il s’est heurté contre mon justaucorps en guenilles et mes bas de peau, et a accaparé par contact cette stupidité dont je me suis défait la nuit dernière en quittant ces misérables vêtements. De la gaîté, mon cher colonel Albert, si votre page chéri peut se permettre de parler ainsi… Vous êtes en société avec des gens dont la compagnie, chère à des étrangers, doit l’être doublement pour vous. Ventrebleu ! ami, de la gaîté ! Je vous ai vu gai comme pinson, après avoir mangé un morceau de biscuit et une bouchée de cresson… et vous ne seriez pas gai après avoir ainsi déjeuné, et même bu du vin du Rhin ? —  Mon cher Louis, » dit Albert faisant un effort sur lui-même, et presque honteux d’avoir gardé aussi long-temps le silence, « j’ai moins bien dormi et me suis levé plus tôt que vous. — Soit, dit son père ; encore n’est-ce pas une raison valable qui puisse excuser ce silence obstiné. Albert, vous nous revoyez, votre sœur et moi, comme de simples étrangers, après avoir été séparés si long-temps, et nous avoir donné autant d’inquiétude sur votre compte ; pourtant vous êtes revenu sain et sauf, et vous nous avez retrouvés en bonne santé. — Revenu, oui… mais en sûreté, mon cher père, c’est un mot qu’on ne pourra nous appliquer d’ici à quelque temps,