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jeune gentilhomme d’Écosse, il ne l’employait plus au point de rendre son langage grossier ou inintelligible, mais seulement pour jouer convenablement le rôle qu’il avait pris.

Personne au monde ne savait mieux que lui se mettre à la portée de la société dans laquelle il se trouvait ; l’exil lui avait fait connaître la vie dans toutes ses nuances et ses variétés. Son esprit, sans être égal, était cependant gai… Il possédait cette espèce de philosophie épicurienne qui, même dans les difficultés et dans les périls extrêmes, peut, dans un intervalle de repos, profiter des jouissances du moment. Bref, jeune et malheureux, il fut un voluptueux de bonne humeur, mais à cœur dur, et se montra toujours le même lorsqu’il fut roi : sage quand ses passions ne le dominaient pas, bienfaisant quand sa prodigalité ne lui ôtait pas les moyens de bien faire et quand ses préventions lui en laissaient le désir. Ses défauts étaient tels qu’ils auraient souvent pu lui attirer de la haine, s’ils n’eussent été accompagnés de tant d’urbanité que la personne offensée ne pouvait garder le souvenir de l’offense.

Albert Lee trouva sa sœur, son père et le page supposé qui déjeunaient, et il se mit lui-même à table ; il restait spectateur pensif et inquiet de ce qui se passait, tandis que le page, qui avait déjà complètement gagné le cœur du bon vieux chevalier en contrefaisant le ton avec lequel les ministres écossais prêchaient en faveur de mon bon lord marquis d’Argyle, de la ligue solennelle du covenant, cherchait ensuite à intéresser la jolie Alice par des anecdotes, des aventures de guerre et de danger, que les femmes ont toujours écoutées avec un vif intérêt depuis le temps de Desdémona. Mais ce n’était pas seulement de périls sur terre et sur mer que parlait le page déguisé ; c’était plutôt et plus souvent des fêtes, des banquets, des bals étrangers où l’orgueil de la France, de l’Espagne et des Pays-Bas, était déployé aux yeux de leurs plus éminentes beautés. Alice était encore toute jeune, et, par suite de la guerre civile, n’avait été presque élevée qu’à la campagne, et souvent dans la solitude ; il n’était donc pas étonnant qu’elle écoutât volontiers, et le sourire sur les lèvres, les récits que le jeune gentilhomme, leur hôte et le protégé de son frère, leur faisait avec tant de gaîté, et auxquels il savait si bien donner une teinte d’aventures périlleuses et qu’il savait parfois entremêler de sérieuses réflexions, pour que son discours ne parût pas simplement léger et frivole.

Enfin sir Henri Lee riait aux éclats, Alice souriait de temps en