Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/267

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qui fut exécutée avec beaucoup d’adresse et de promptitude, le page lui tint la lumière. Mais quand Albert se releva de dessus ses genoux, où il était resté pendant qu’il s’acquittait de sa tâche, les manières des deux compagnons changèrent aussitôt à l’égard l’un de l’autre. L’honorable maître Kerneguy, quittant tout-à-coup la rusticité feinte d’un ignorant Écossais, parut avoir acquis dans ses mouvements et ses manières une grâce, une aisance qu’il ne pouvait devoir qu’à une longue habitude de fréquenter souvent la meilleure compagnie de l’époque.

Il donna à Albert la lumière qu’il tenait, avec l’indifférence aisée d’un supérieur qui semble plutôt faire une grâce à son subordonné que lui imposer un devoir quand il exige un léger service. Albert, avec la plus grande marque de respect, prit à son tour le rôle d’éclaireur, et éclaira son page à travers la chambre, se gardant bien de lui tourner un seul instant le dos. Il plaça alors la lumière près du lit ; et s’approchant du jeune homme avec la plus profonde révérence, il reçut de lui son mauvais pourpoint vert avec autant de respect qu’un premier lord de la chambre, qu’un officier, ou quelque autre grand officier de la maison du roi eût ôté à son souverain le manteau de la Jarretière. Le personnage qui souffrait cette cérémonie l’endura un instant avec la plus sévère gravité ; mais alors, éclatant de rire, il s’écria : « Et que diable signifient toutes ces formalités, Albert ?… Tu es aussi poli pour ces misérables haillons que s’ils étaient de soie ou de martre, et pour le pauvre Louis Kerneguy que s’il était roi de la Grande-Bretagne. — Si les ordres de Votre Majesté et les circonstances de l’époque ont semblé pour un instant me faire oublier que vous êtes mon souverain, sire, il doit m’être permis, je pense, de vous rendre l’hommage qui vous est dû, lorsque vous êtes dans votre royal palais de Woodstock. — Vraiment, répliqua le monarque déguisé, le souverain et le palais se ressemblent bien… Cette tenture en lambeaux avec mon accoutrement en guenilles vont admirablement l’un avec l’autre. Ceci est Woodstock !… ceci est le berceau où le royal Normand s’abandonnait au plaisir avec la belle Rosemonde Clifford. Ma foi, c’est un lieu de rendez-vous pour les chats-huants ! » Puis, reprenant tout-à-coup sa courtoisie ordinaire, il ajouta, comme s’il eût craint de blesser la sensibilité d’Albert : « Mais l’endroit le plus obscur et le plus retiré n’en est que plus convenable à nos projets, Lee ; et si cette demeure ressemble à un nid de chats-huants, comme on ne peut le nier, nous savons qu’elle a pourtant aussi servi à des aigles. »