Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/253

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presque trouvé burlesque, si un sentiment de compassion n’eût pas dominé chez elle.

Le Benedicite fut dit ; et le jeune écuyer de Ditchley, ainsi que le docteur Rochecliffe, firent une excellente figure au repas, ce qui laissait croire que depuis long-temps ils n’en avaient pas fait un pareil. Mais ce n’était rien en comparaison du jeune Écossais ; car le pain et le beurre qu’il avait déjà mangé avant le souper, loin d’avoir apaisé son appétit, n’avait fait que l’aiguiser, ce qui aurait facilement fait croire qu’il avait jeûné pendant neuf jours. Le chevalier en fut tellement effrayé, qu’il pensa que le génie même de la faim, en personne, était venu de son pays natal du nord l’honorer d’une visite ; et maître Kerneguy, dans la crainte de perdre un seul moment qui était si précieux pour lui, ne regardait ni à droite ni à gauche, et ne disait mot à aucun des convives.

« Je suis ravi de voir que vous apportiez un si bon appétit à un souper de campagne, jeune homme, dit sir Henri. — Par le pain blanc que je viens de manger, monsieur, répondit le page, que l’on m’en serve un pareil tous les jours, et je m’en acquitterai de même. Mais la vérité est, monsieur, que ma faim s’aiguisait depuis trois ou quatre jours, car les vivres sont rares dans votre pays du sud, et difficiles à trouver ; ainsi je répare le temps perdu, comme dit le joueur de flûte de Sligo, lorsqu’il a mangé sa moitié de mouton. — Vous avez été élevé à la campagne, jeune homme, » dit le chevalier, qui, comme les autres de son temps, tenait haut la bride de la discipline à la génération nouvelle ; « du moins à en juger par les jeunes Écossais que j’ai vus autrefois à la cour du feu roi… Ils avaient moins d’appétit et plus… plus… » Tandis qu’il cherchait une expression synonyme, mais moins crue pour parler de ses manières, son hôte acheva la phrase à sa façon : « Et plus de plats à leurs soupers, voulez-vous dire ?… et tant mieux pour eux ! »

Sir Henri resta muet et interdit. Son fils parut penser qu’il était temps d’intervenir. « Mon cher père, lui dit-il, il s’est écoulé bien des années depuis celle de 1638, où commencèrent les troubles d’Écosse, et je suis sûr que vous ne serez plus étonné que, les barons écossais ayant presque toujours été en campagne, soit pour une cause, soit pour une autre, l’éducation de leurs enfants ait été beaucoup négligée, et que les jeunes gens de l’âge de mon ami sachent mieux se servir du sabre, ou agiter la pique, que déployer les manières polies de la société. — La raison est excellente, répondit le chevalier ; et puisque tu dis que ton camarade Kerneguy