Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/238

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que tout son extérieur inspirât une espèce de crainte indéfinissable, mais irrésistible.

« Pardonnez à une étrangère, aimable miss Lee, qui en vous voyant n’a pas eu l’esprit de distinguer entre une dame de votre haute qualité et une pauvre villageoise, et qui vous a parlé avec une liberté qui, à coup sûr, ne convient pas à votre rang et à votre condition, et qui, j’en ai peur, vous a offensée. — Offensée ! nullement ; mais, bonne femme, me voilà près de la maison, et je ne puis vous permettre de m’accompagner plus loin… Vous m’êtes inconnue. — Mais il ne s’ensuit pas de là, dit l’étrangère, que votre bonne fortune me le soit, belle mistress Alice. Regardez mon front basané… l’Angleterre n’en produit pas de pareils… et dans le pays d’où je viens, le soleil qui noircit notre teint, nous dédommage en plaçant dans nos cerveaux des connaissances refusées aux habitants de vos climats ; laissez-moi examiner votre jolie main, » lui dit-elle en s’efforçant de la lui saisir, « et, je vous le promets, vous entendrez des choses qui vous feront plaisir. — Celles que j’entends ne m’en font pas, » dit Alice avec dignité ; « allez vendre votre bonne aventure et vos tours de chiromancie aux femmes du village… Nous autres, gens bien élevés, nous les regardons comme une imposture, ou comme une science illégitimement acquise. — Vous voudriez pourtant, j’en réponds, entendre parler d’un certain colonel que de malheureuses circonstances ont éloigné de sa famille… vous me donneriez plus que de l’argent, si je pouvais vous assurer que vous le verrez dans un jour ou deux… oui, peut-être plus tôt, même. — Je ne sais ce que vous voulez dire, bonne femme ; si vous demandez l’aumône, voilà une pièce d’argent ; c’est tout ce que j’ai dans ma bourse. — Ce serait pitié que je la prisse ; mais pourtant donnez-la-moi… car la princesse, dans les contes de fées, doit toujours mériter par sa générosité la bonté de la fée bienfaisante, avant d’être récompensée par sa protection. — Prenez-la… donnez-moi ma cruche et partez, car je vois venir un des domestiques de mon père. Holà ! ho ! Jocelin, Jocelin ! »

La vieille diseuse de bonne aventure jeta vite quelque chose dans la cruche en la rendant à Alice Lee, et disparut promptement dans le taillis du parc.

Bévis se détourna, la regarda s’éloigner, et montra quelque envie de suivre cette femme suspecte ; pourtant, comme incertain de ce qu’il avait à faire, il courut à Jocelin et l’accabla de caresses comme pour lui demander son avis, Jocelin apaisa l’animal, et,