Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/225

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me bravez pas, vous dis-je ; je suis obligé d’accomplir mon devoir, au risque de déplaire à mon propre frère. — Je ne vois rien qui vous regarde dans cette affaire, dit le colonel Éverard ; et, pour ma part, je vous avertis de ne pas vous en mêler. — Bien… vous voulez que je sois aussi docile que l’un de vos grenadiers ! » et ses membres délicats tremblaient par un même transport d’indignation qui agitait ses cheveux gris. « Prenez garde à vous, monsieur, j’ai plus de pouvoir que vous ne le supposez. Je ferai appel à tous les vrais chrétiens de Woodstock, pour qu’ils se ceignent les reins et s’opposent au rétablissement de l’épiscopat, de l’oppression, des doctrines perverses dans ces environs. J’encouragerai la colère du juste contre l’oppresseur, contre l’Ismaélite, l’Édomite, contre sa race et contre ceux qui le soutiennent et l’encouragent à relever la tête. Je crierai haut, je n’épargnerai rien, j’exciterai tous ceux dont l’amour s’est refroidi, et la multitude qui se montrerait indifférente. Quelques gens encore m’écouteront. Je prendrai la verge de Joseph qui était dans les mains d’Éphraïm ; je viendrai purger cette demeure de sorciers, de sorcières et d’enchantements ; je citerai et les exhorterai en disant : Voulez-vous défendre Baal ? voulez-vous le servir ? Emparez-vous des prophètes de Baal, que pas un d’entre eux n’échappe ! — Maître Holdenough, » dit le colonel Éverard avec beaucoup d’impatience, « d’après l’histoire que vous m’avez contée, vous avez prêché sur ce texte déjà une fois de trop. »

À ces mots, le vieillard frappa violemment sa main contre sa tête, et tomba sur une chaise, aussi subitement, et comme poussé par une force aussi irrésistible que si le colonel lui eût déchargé un pistolet dans la tête. Aussitôt, affligé du reproche qui lui était échappé dans sa mauvaise humeur, Éverard se hâta de lui en demander pardon et de lui offrir toutes les excuses que son esprit lui suggéra ; mais aucune ne fut agréée. Le vieillard était frappé au cœur ; il écarta la main du colonel, ferma l’oreille à ses paroles, et enfin se leva en disant d’une voix sévère : « Vous avez abusé de ma confiance, monsieur… abusé bassement pour vous en faire une arme contre moi. Si j’avais été un homme d’épée, vous n’auriez pas osé… mais jouissez, monsieur, de votre triomphe sur un vieillard, sur l’ami de votre père… Déchirez la blessure que son imprudente confiance vous a montrée. — Mon digne et excellent ami ! — Ami ! » répondit le vieillard avec un mouvement convulsif ; « nous sommes ennemis, monsieur… ennemis dès ce moment et pour toujours. »