Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/222

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de moi, et le frisson fit tressaillir mes os. » Un bruit singulier tintait à mes oreilles, la tête me tournait ; j’éprouvais sans être en danger les sensations de ceux qui appellent au secours, et j’avais envie de fuir, bien que personne ne me poursuivît. À ce moment quelque chose passa derrière moi ; la grande glace devant laquelle j’avais placé ma table m’en retraça l’image : je le distinguai, grâce au flambeau qui était alors en face. Je levai les yeux, et je vis distinctement dans le miroir la forme d’un homme… Aussi vrai que je le dis, c’était ce même Joseph Albany… le compagnon de ma jeunesse, celui que j’avais vu précipiter du haut des murs du château de Clidesthrough, dans le lac profond qui est au bas. — Que fîtes-vous alors ? — Il me vint soudain à la pensée que le philosophe stoïcien Athénodore avait échappé à l’horreur d’une vision semblable, en continuant obstinément à étudier, et je fis en même temps la réflexion que moi, prédicateur du christianisme, chargé d’en annoncer les mystères, j’avais moins de raison de craindre, et bien plus de moyens d’occuper saintement mes pensées, qu’un païen qui était aveuglé par sa sagesse même. Ainsi au lieu de laisser paraître aucune alarme, sans même détourner la tête, je continuai à écrire : cependant, je dois avouer que le cœur me battait et que ma main était tremblante. — Si vous aviez encore la faculté d’écrire, quand votre esprit était frappé de cette impression, une telle intrépidité vous rend digne de marcher à la tête de l’armée anglaise. — Notre courage, colonel, ne nous appartient point, et nous ne devons pas nous en glorifier, comme de quelque chose qui soit notre propriété. Mais quand vous parlez de cette étrange vision comme d’une impression produite sur mon esprit, plutôt que comme d’une réalité qui frappait mes sens, permettez-moi de vous dire que votre sagesse mondaine n’est que folie, relativement aux choses qui ne sont pas de ce monde. — N’avez-vous pas jeté un second coup d’œil sur la glace ? — Oui, quand j’eus transcrit ce consolant passage de l’Écriture : « Tu fouleras Satan sous tes pieds. » — Et que fîtes-vous ensuite ? — L’image de ce même Joseph Albany, répondit Holdenough, semblait passer doucement derrière ma chaise ; sa taille et ses traits avaient une entière ressemblance avec celui que j’avais connu dans ma jeunesse, excepté que son visage portait les traces d’un âge plus avancé que celui où il était mort, et qu’il était très pâle. — Et que fîtes-vous ? — Je me détournai, et je vis distinctement la figure qui s’était réfléchie dans la glace se retirer vers la porte, ni lentement, ni rapidement, mais d’un pas ferme,