Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/218

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venir à ma mémoire. Pourtant ces hommes qui étaient ainsi acharnés contre leurs semblables n’étaient ni des païens venus des contrées sauvages et lointaines, ni des brigands écume et rebut de notre pays : calmes et de sang-froid, c’étaient des hommes raisonnables, religieux même, jouissant d’une bonne réputation à la face du monde et à celle du ciel. Oh ! maître Éverard, combien votre métier de guerre est à craindre, à éviter, puisqu’il change de tels hommes en des loups acharnés contre leurs semblables ! — C’est une cruelle nécessité, » dit Éverard en baissant les yeux, « et c’est là la seule justification possible… Mais continuez, mon révérend ami ; je ne vois pas comment cet assaut, incident, hélas ! trop fréquent de part et d’autre durant la dernière guerre, peut se rattacher aux événements de la nuit dernière. — Vous allez le savoir, » dit M. Holdenough ; puis il s’arrêta, comme un homme qui fait un effort pour se remettre avant de continuer un récit dont le sujet l’a violemment agité. « Dans ce tumulte infernal, reprit-il (car sûrement, rien sur la terre ne ressemble tant à l’enfer que de voir des hommes s’abandonner ainsi à une haine mortelle contre leurs semblables), j’aperçus le même prêtre que j’avais distingué sur la chaussée, avec deux autres malveillants, presses dans un coin par les assaillants, et se défendant jusqu’à la dernière extrémité, comme des gens désespérés… Je le vis, je le reconnus… colonel Éverard ! »

À ces mots, il saisit de sa main gauche celle d’Éverard, et se couvrant la figure et le front avec la droite, il sanglota.

« C’était votre compagnon de collège ? » dit Éverard prévoyant la catastrophe.

« Mon ancien… mon seul ami… celui avec qui j’avais passé les heureux jours de ma jeunesse !… Je m’élançai… je fendis la foule… je voulus crier grâce ; mais mon émotion m’avait ôté l’usage de la parole et de la voix… Tout se perdait dans l’horrible cri que j’avais poussé, moi le premier : « Périsse le prêtre de Baal… Tuez Mathan… tuez-le, fût-il sur les marches de l’autel !… » Poussé jusqu’au bord d’un créneau, mais luttant encore pour la vie, je l’aperçus qui s’accrochait à une de ces pierres avancées hors du muret destinées à l’écoulement des eaux de la plate-forme… mais ils lui frappèrent sur les bras et sur les mains… J’entendis une chute lourde retentir dans l’abîme sans fond au dessous… Excusez mon émotion… je ne puis continuer. — Il a échappé peut-être ? — Oh ! non, non… la tour avait quatre étages de hauteur. Ceux mêmes