Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/196

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tor Lee, tel qu’il était représenté dans son portrait, tenant d’une main une dame voilée des pieds à la tête, et de l’autre son bâton de commandement. Les deux figures étaient animées et se tenaient, à ce qu’il semblait, à six pieds de lui environ.

« Sans cette femme, dit Éverard, on ne m’aurait pas ainsi mortellement provoqué. — Ne faites pas attention à ma compagne, et n’épargnez rien contre nous, répliqua la même voix ; je vous défie de nouveau. — Répétez votre défi quand j’aurai compté jusqu’à trois, dit Éverard, et vous recevrez le châtiment de votre insolence. Une… J’ai armé mon pistolet… Deux… Je ne manque jamais le but… Par tout ce qu’il y a de sacré, je tire sur vous si vous ne partez à l’instant même. Si vous me laissez prononcer trois, vous êtes mort. Pourtant il me répugne à verser du sang… Je vous laisse encore le temps de partir… Une… deux… trois… »

Éverard visa au cœur, et lâcha son coup. La figure éleva ses bras comme par mépris ; puis commença un gros rire, et la flamme devenait de moins en moins brillante autour du vieux chevalier ; enfin elle disparut. Le sang d’Éverard se glaça dans ses veines « Si c’eût été une créature humaine, pensa t-il, la balle l’aurait percée Je n’ai ni le désir, ni le pouvoir de combattre des êtres surnaturels. »

Il éprouvait alors une oppression si forte, qu’il en fut tout anéanti. Il se traîna pourtant jusqu’à la cheminée, et jeta sur les charbons qui étaient encore allumés, une poignée de bois sec. Il flamba aussitôt, et éclaira la chambre assez pour qu’il l’examinât tout entière. Il regarda autour de lui avec précaution, presque avec timidité, craignant à moitié d’apercevoir quelque horrible fantôme. Mais il ne vit rien que les vieux meubles, le pupitre à lire, et d’autres objets tous dans le même état où sir Henri les avait laissés en partant. Il éprouva un désir irrésistible, quoique mêlé de répugnance, de considérer le portrait du vieux chevalier, auquel ressemblait tant celui qui venait de lui apparaître. Il hésita long-temps entre ces deux sentiments contraires. Mais enfin il prit, avec une résolution désespérée, la chandelle qu’il avait éteinte, et la ralluma avant que la flamme des broussailles mourût. Il la leva devant le portrait de Victor Lee, et le regarda avec une vive curiosité, non exempte de crainte. Les frayeurs puériles de son enfance revinrent toutes l’épouvanter ; il crut voir l’œil pâle et sévère du vieux guerrier suivre le sien, et le menacer de son déplaisir ; et quoiqu’il chassât promptement cette absurde idée de son esprit, cependant certains