Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/122

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qui était monté si haut qu’il semblait déjà planer sur le pays qu’il avait conquis, avait, comme beaucoup d’autres grands génies, une teinte de mélancolie naturelle qui parfois se montrait dans ses paroles et ses actions, et avait été, pour la première fois, observée dans un changement subit et singulier, quand il abandonna tout-à-fait les habitudes dissolues de sa jeunesse. Il s’astreignit sévèrement à des pratiques religieuses qu’il semblait considérer en certaines occasions comme le mettant de plus près et plus intimement en contact avec le monde spirituel. Cet homme extraordinaire s’abandonna, dit-on, quelquefois, à cette époque de sa vie, à des illusions mentales, ou, comme il se l’imaginait, à des inspirations prophétiques de grandeur future ou d’intrigues étranges, vastes et mystérieuses, dans lesquelles il devait un jour s’engager, de la même manière que les premières années de sa vie avaient été marquées par des excès inconcevables et vraiment inouïs de dissolution et de débauche. Quelque chose de ce genre pouvait seul expliquer les différentes émotions auxquelles il venait de s’abandonner.

Étonné de tout ce qu’il avait vu, Wildrake commença à concevoir quelques craintes pour son compte. Quoique peu réfléchi ordinairement, il avait assez de bon sens naturel pour comprendre qu’il est dangereux d’être témoin des faiblesses des grands ; et on le laissa si long-temps seul, qu’il commença à craindre intérieurement que le général ne fût tenté de prendre les moyens de renfermer ou de faire disparaître un témoin qui l’avait vu agité par les remords de sa conscience, et beaucoup au dessous de cet essor sublime où il affectait généralement de se maintenir, et d’où il dominait le reste du monde sublunaire.

Sous ce rapport, il faisait injure à Cromwell, à qui on ne pouvait reprocher ni un penchant excessif à des soupçons jaloux, ni rien qui ressemblât à la soif du sang. Pearson reparut une heure après, en prévenant Wildrake qu’il eût à le suivre : il le conduisit dans un appartement éloigné, où il trouva le général assis sur un lit de repos. Sa fille était dans l’appartement, mais placée à une certaine distance ; elle semblait travailler à quelque ouvrage de femme, et ce fut à peine si elle tourna la tête lorsque Pearson et Wildrake entrèrent.

À un signe du lord général, comme la première fois, Wildrake s’approcha de lui. « L’ami, lui dit-il, vos vieux amis les Cavaliers me regardent comme leur ennemi, et se conduisent envers moi comme s’ils voulaient que je le fusse réellement. Je déclare qu’ils