Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/119

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lui une correspondance quelconque. En tout cas, Markham Éverard et toi devrez avoir un œil sur chaque cheveu de votre tête. »

À ces mots, le rouge lui monta au visage ; il se leva de son fauteuil et se promena dans l’appartement d’un air visiblement agité. « Malheur, oui malheur à vous, ajouta-t-il, si vous souffrez que ce jeune aventurier m’échappe !… Mieux vaudrait pour vous gémir dans le plus profond cachot de l’Europe que respirer l’air d’Angleterre, si vous songiez seulement à me tromper. Je t’ai parlé franchement, camarade… plus franchement que je n’ai coutume de le faire… mais la circonstance l’exigeait… Être admis à ma confiance, c’est mouler la garde devant un magasin à poudre : la moindre, la plus insignifiante étincelle te réduirait en cendres. Instruis ton maître de ce que j’ai dit… mais non comme je l’ai dit… Oh ! faut-il que je sois tombé dans les emportemens de la colère… Décampe, coquin ; Pearson te portera des ordres cachetés… Mais, arrête… n’as-tu rien à me demander ? — Je voudrais savoir, » dit Wildrake, à qui l’anxiété visible du général donnait quelque confiance, « quelle est la tournure de ce jeune damoiseau, en cas que je vienne à le rencontrer ? — On dit qu’il est devenu grand, maigre et basané. Voici son portrait peint par un bon maître, il y a déjà du temps. » Il retourna un des tableaux dont la peinture se trouvait du côté de la muraille : mais au lieu d’être celui de Charles Il, c’était celui de son malheureux père.

Le premier mouvement de Cromwell annonça l’intention de replacer aussitôt le portrait, et il sembla qu’il lui fallait un effort pour vaincre sa répugnance à le regarder ; néanmoins il le fit, et, replaçant le tableau contre le mur, il s’éloigna lentement et d’un air sévère, comme s’il eût voulu, pour défier sa propre émotion, chercher à le voir dans son plus beau jour. Heureusement pour Wildrake que son dangereux compagnon ne tourna point les yeux de son côté, car son sang s’enflamma aussi quand il aperçut le portrait de son souverain entre les mains du principal auteur de sa mort. Violent et capable de tout oser, ce fut à grand’peine qu’il contint son indignation ; et si, dans son premier accès de fureur, il avait eu l’arme nécessaire, il est possible que Cromwell n’eût jamais monté plus haut dans sa course rapide vers le pouvoir suprême.

Mais cette naturelle et subite étincelle de colère qui parcourut les veines d’un homme aussi ordinaire que Wildrake, s’éteignit tout-à-coup en présence de l’émotion violente, quoique étouffée,