Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

champ neutre où même le juge de paix et le mendiant vagabond pouvaient se rencontrer avec une mutuelle bienveillance.

« Retournez, retournez, s’écria le mendiant ; pourquoi n’êtes-vous pas retournés sur vos pas quand je vous ai fait signe ?

— Nous croyions, dit sir Arthur avec beaucoup d’agitation, que nous aurions le temps d’atteindre Halket-Head.

— Halket-Head ! la mer couvre en ce moment Halket-Head, et s’en élance comme de la chute de Fyrs[1]. C’est tout ce que j’ai pu faire, il y a vingt minutes, que de le doubler moi-même, l’eau y arrivait par trois pieds à la fois. Peut-être pourrons-nous retourner encore par la pointe de Ballyburgh-Ness. Que Dieu nous protège, c’est notre seule voie de salut. Nous pouvons toujours essayer.

— Grand Dieu, mon enfant ! — Mon père ! mon bon père ! » s’écrièrent à la fois le père et la fille, tandis que la terreur leur donnait des forces et de l’agilité ; ils revinrent sur leurs pas, essayant de doubler la pointe qui forme l’extrémité méridionale de la baie.

« J’ai appris que vous étiez ici, par le petit garçon que vous avez envoyé au devant de votre voiture, dit le mendiant en s’avançant d’un pas vigoureux derrière miss Wardour, et je n’ai pu penser sans frémir au danger que courait cette jeune et délicate demoiselle, toujours si bonne pour les cœurs affligés qui se réfugient auprès d’elle. J’ai donc examiné les progrès des flots, et je me suis dit que si je pouvais arriver à temps pour vous avertir de retourner, tout pourrait encore aller bien. Mais je crains, je crains de m’être trompé, car quel mortel a jamais vu la mer accourir aussi furieusement qu’à présent ? Voyez là-bas le roc de Ratton ; de mon temps je l’ai toujours vu élever sa cime au dessus de l’eau, en bien ! elle en est couverte maintenant. »

Sir Arthur jeta un regard du côté qu’indiquait le vieillard. Il vit qu’un immense rocher qui, généralement même dans les hautes marées, déployait une masse semblable à la quille d’un grand vaisseau, était maintenant tout-à-fait sous l’eau, sans que rien marquât sa place que le bouillonnement et le reflux des vagues qui venaient lutter et se briser contre cet obstacle sous-marin.

« Dépêchez-vous ! dépêchez-vous, ma bonne demoiselle, continua le vieillard, et nous arriverons peut-être encore. Prenez mon bras ; il est maintenant vieux et faible, mais il a déjà essuyé plus

  1. Cascade dans le comté d’Inverness en Écosse. Le poète Burns a composé un petit poème sur cette admirable chute d’eau. a. m.