Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/335

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pugnance, il l’emmena hors de la chaumière, et ferma le loquet après eux.

Lorsque les malheureux parens se furent retirés, lord Glenallan, pour empêcher la vieille femme de retomber dans sa léthargie, la pressa de s’expliquer au sujet de la communication qu’elle voulait lui faire.

— Vous l’entendrez assez tôt, dit-elle, mon esprit s’est assez éclairci ; maintenant je ne crois pas qu’il puisse y avoir de crainte que j’oublie ce que j’ai à vous dire. Ma demeure à Craigburnsfoot est présente à mes yeux comme si je la voyais en réalité. Je vois la prairie dont la lisière s’étendait jusqu’au rocher qui touchait la mer, les deux petites barques avec leurs voiles pliées reposant à l’ancre dans la baie naturelle qu’elle formait, le rocher escarpé qui seul la séparait du parc de Glenallan, et qui se penchait sur le ruisseau… Ah, oui ! je puis oublier que j’eus un mari, et que je le perdis… qu’il ne me reste plus qu’un seul de quatre beaux garçons que nous eûmes… que des malheurs accumulés ont englouti nos biens mal acquis… que le corps du fils aîné de mon fils vient d’être enlevé ce matin de cette maison ; mais jamais, oh ! jamais je ne puis oublier les jours que j’ai passés à Craigburnsfoot.

— Vous étiez la favorite de ma mère ? dit lord Glenallan, désirant la ramener au point d’où elle s’écartait.

— Oui, je l’étais… vous n’avez pas besoin de me le rappeler… elle m’éleva au dessus de mon état et me donna plus d’instruction que n’en ont mes pareilles. Mais comme le tentateur du monde, avec la connaissance du bien, elle me donna aussi celle du mal.

— Pour l’amour de Dieu, Elspeth ! dit le comte étonné, achevez, si vous le pouvez, d’expliquer les paroles mystérieuses et terribles qui vous échappent. Je sais trop que vous êtes la confidente d’un secret si affreux que le seul récit en ferait crouler le toit qui nous couvre… mais de grâce, parlez…

— Oui, dit-elle, je parlerai… mais ayez patience avec moi un moment encore ; » et elle sembla de nouveau se perdre dans ses souvenirs, mais cette absorption n’était plus mêlée d’idiotisme ou d’apathie. Elle allait s’expliquer sur un sujet qui depuis long-temps accablait son esprit, et qui sans aucun doute absorbait son âme tout entière dans les momens où elle paraissait morte pour tous ceux qui l’entouraient. Et j’ajouterai, comme un fait remarquable, que l’énergie de son esprit agit avec une telle puissance sur ses facultés physiques et sur son système nerveux, que malgré sa surdité