Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/324

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le mouvement de tourner son fuseau, puis chercher à son sein sa quenouille, quoique l’un et l’autre eussent été mis de côté. Elle jetait ensuite les yeux autour d’elle, comme surprise de ne plus trouver cet instrument de son industrie, et paraissait frappée de la couleur noire de la robe dont on l’avait habillée, et embarrassée du nombre de personnes qui l’entouraient. Puis enfin elle levait la tête, et avec un regard sinistre jetait les yeux sur ce lit qui contenait le cercueil de son petit-fils, comme si elle eût tout-à-coup et pour la première fois recouvré la raison pour comprendre son inexprimable malheur. Ces différens sentimens d’embarras, d’étonnement et de douleur, se succédèrent alternativement plus d’une fois sur ses traits où depuis long-temps semblait régner la torpeur. Mais elle ne prononça pas un mot, de même qu’elle n’avait pas versé une larme, et personne de la famille ne pouvait comprendre par aucun regard, par aucune expression de son visage, jusqu’à quel point elle sentait le mouvement extraordinaire qui se faisait autour d’elle. Ainsi, elle siégeait dans cette assemblée funèbre comme un anneau de la chaîne entre les parens désolés et le corps inanimé de celui dont ils déploraient la perte. C’était un être dans lequel les ombres de la mort obscurcissaient déjà rapidement le flambeau de la vie.

Lorsque Oldbuck entra dans cette maison de deuil, il fut reçu par une inclination de tête silencieuse et générale, et, suivant la coutume d’Écosse en de semblables occasions, on offrit à la ronde à tous les hôtes le pain, le vin et les liqueurs. Elspeth, lorsque ces rafraîchissemens furent présentés, surprit et fit tressaillir toute la compagnie, en arrêtant la personne qui les portait ; puis prenant un verre dans sa main, elle se leva, et avec le sourire de la démence sur ses traits ridés, elle prononça d’une voix creuse et tremblante : « Une bonne santé à vous tous, messieurs, et puissions-nous avoir souvent d’aussi joyeuses réunions que celle-ci ! »

Tout le monde frémit à ce sinistre toast, et reposa son verre sans y avoir porté les lèvres, avec ce degré d’horreur et d’effroi qui n’étonnera pas ceux qui savent à combien de superstitions est encore sujette la basse classe en Écosse dans ces sortes d’occasions. Mais quand la vieille femme eut goûté la liqueur, elle s’écria soudainement avec une espèce de cri : « Qu’est-ce que ceci ? n’est-ce pas du vin ? comment ! y aurait-il du vin dans la maison de mon fils ? Ah, oui », continua-t-elle avec un gémissement étouffé, j’en comprends la triste cause maintenant, » et, laissant tomber le verre