Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/215

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Le vieillard se redressa de manière à déployer sa taille dans tout son avantage ; et malgré ses habits qui, toutefois, ressemblaient plus à ceux d’un pèlerin qu’à ceux d’un mendiant ordinaire, chacun, à sa grandeur peu commune, à l’énergie de sa voix et de ses gestes, l’eût pris pour un voyageur des saints lieux, ou pour un ermite prédicateur donnant des conseils spirituels aux jeunes gens qui l’entouraient, plutôt que pour un objet de leur charité. Ses paroles étaient à la vérité aussi simples que ses habits, mais aussi hardies, aussi énergiques que son maintien était fier et imposant. « Que venez-vous faire ici, jeunes gens ? dit-il en s’adressant à ses auditeurs surpris ; venez-vous au milieu des plus beaux ouvrages de Dieu pour manquer à ses lois ? Avez-vous quitté les ouvrages des hommes, leurs villes et leurs maisons, qui ne sont comme eux que boue et que poussière, pour venir sur ces montagnes paisibles, à côté de ces eaux tranquilles qui dureront tant que le monde sera monde, et cela pour vous détruire l’un l’autre et vous arracher une vie dont le terme est déjà assez court suivant les lois de la nature, et dont vous aurez à rendre un long et terrible compte ? mes enfans ! n’avez-vous pas des pères, des frères, des sœurs qui vous ont soignés, des mères qui ont tant souffert en vous mettant au monde, et des amis qui vous considèrent comme une partie de leur chair et de leurs os ? et voulez-vous les priver ainsi de leurs fils, de leurs frères et de leurs amis ? Hélas ! c’est un triste combat que celui où le vainqueur est le plus malheureux ! Pensez-y, mes enfans. Je ne suis qu’un pauvre homme, mais je suis aussi un vieillard ; et mes cheveux gris, et surtout la sincère conviction qui dicte mes paroles, doivent, je crois, leur donner vingt fois plus de force que le poids de ma pauvreté ne peut leur en ôter. Retournez chez vous, rentrez dans vos logis comme de bons enfans. Les Français un de ces jours vont venir nous attaquer[1] ; vous ne manquerez pas de combats alors ; et peut-être le vieil Édie se trahira-t-il lui-même après vous, s’il peut trouver un fossé propice pour y reposer avec son fusil ; et il peut vivre encore assez long-temps pour vous dire lequel des deux sait mieux se battre quand il s’agit d’une bonne cause. »

Il y avait dans le ton intrépide et indépendant du vieillard, dans l’énergie de ses sentimens et dans sa mâle et grossière éloquence, quelque chose qui produisit son effet sur les jeunes gens, surtout

  1. On voit que le temps où cet ouvrage fut composé se rapporte à celui de la descente projetée par Napoléon. a. m.