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ministre de Galashiels, a assuré à l’auteur que la dernière fois qu’il avait vu André, il était occupé à jouer au brag[1], avec un gentilhomme d’une fortune et d’une naissance distinguées. Afin de conserver les degrés convenables du rang, la partie se faisait à une croisée ouverte du château : le laird, assis sur une chaise dans l’intérieur, et le mendiant sur un tabouret dans la cour, jouaient sur le bord de la fenêtre : l’enjeu était une somme d’argent considérable. L’auteur ayant exprimé quelque surprise, le docteur Douglas lui fit observer que ce laird était sans doute un homme singulier, un original ; mais que beaucoup de personnes respectables dans ce temps n’auraient trouvé, comme lui, rien d’extraordinaire à passer une heure à jouer aux cartes ou à causer avec André Gemmells.

Ce singulier mendiant avait ordinairement sur lui, ou du moins on le supposait, autant d’argent que sa vie en aurait valu aux yeux de nos voleurs actuels de grands chemins. Un gentilhomme campagnard, qu’on regardait comme fort serré dans ses dépenses, ayant un jour rencontré André, exprima beaucoup de regret de n’avoir pas de monnaie dans sa poche, autrement il lui aurait donné un six pences[2]. « Je puis vous changer un bank-note[3], laird », répondit André.

Semblable à tous ceux qui sont devenus les premiers de leur profession, André se plaignait souvent de l’état de dégradation qu’avaient subi les mendians modernes. Comme métier, disait-il, il était tombé de 40 livres sterling par an, depuis qu’il avait commencé à l’exercer.

Dans une autre occasion, il remarqua que, de notre temps, mendier ne pouvait plus convenir à un gentilhomme, et qu’il aurait vingt fils qu’il ne se déciderait pas facilement à les élever dans le même état que lui.

En quels lieux et en quel temps ce laudator temporis acti termina-t-il ses courses errantes ? c’est ce que l’auteur n’a jamais appris avec certitude ; mais très probablement, comme dit Burns :

« Il mourut comme le pauvre cheval d’un colporteur, au bord de quelque fossé. »

L’auteur peut ajouter un autre portrait du même genre que celui d’Edic Ochiltree et d’André Gemmells, comparant ces portraits à une espèce de galerie ouverte à tout ce qui peut faire connaître les anciennes mœurs et amuser le lecteur.

  1. Espèce de jeu de cartes particulier à l’Écosse ; c’est une sorte de bouillotte à deux personnes. a. m.
  2. Pièce d’argent équivalant à 60 centimes de notre monnaie. a. m.
  3. Billet de banque anglais. Il y en avait alors d’une livre sterling. a. m.