Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/45

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résultat rapprocha toujours les événements ; enfin le même mois et le même jour du mois semblèrent assignés comme la période dangereuse pour l’un comme pour l’autre.

On croira facilement qu’en rapportant cette circonstance, nous ne voulons pas donner de poids à cette science prétendue ; mais il arrive souvent, tant est grand notre amour naturel pour le merveilleux, que nous contribuons nous-mêmes par nos efforts à tromper notre jugement. Soit que cette coïncidence que j’ai citée fût réellement un de ces singuliers hasards qui arrivent quelquefois contre les calculs ordinaires, ou soit que Mannering, égaré dans le labyrinthe des calculs arithmétiques et du jargon technique de l’astrologie, eût, sans s’en apercevoir, suivi deux fois le même peloton pour sortir de ses détours, soit enfin que son imagination, séduite par quelques points d’une ressemblance apparente, l’eût porté à trouver entre ses deux opérations une similititude plus exacte qu’elle ne l’aurait été autrement (c’est ce qu’il est impossible de deviner), toujours est-il que ces résultats constamment correspondants entre eux firent sur son esprit une vive et forte impression.

Il ne pouvait s’empêcher de s’étonner d’une coïncidence aussi singulière qu’inattendue. « Le diable s’en mêle-t-il, pour nous punir de badiner avec un art qu’on dit d’une origine magique ? Ou bien est-il possible, comme Bacon et sir Thomas Browne l’admettent[1], qu’il y ait quelque vérité dans l’astrologie sagement et régulièrement pratiquée, et ne peut-on nier l’influence des astres, quoique l’application qu’en font les fripons qui prétendent exercer cet art, doive être grandement soupçonnée ? » Un moment de réflexion le porta à rejeter cette opinion comme chimérique, et seulement sanctionnée par ces hommes instruits, soit parce qu’ils n’osaient pas secouer à la fois tous les préjugés de leur siècle, soit parce qu’ils n’étaient pas exempts eux-mêmes de l’influence contagieuse d’une superstition dominante. Cependant le résultat de ses calculs, en ces deux occasions, laissa dans son esprit une impression si désagréable que, comme Prospero[2], il abandonna intérieurement son art, et résolut de ne plus jamais pratiquer l’astrologie judiciaire, soit en plaisantant, soit sérieusement.

Il hésita long-temps s’il découvrirait au laird d’Ellangowan l’horoscope de son premier-né. À la fin, il résolut de lui dire fran-

  1. Bacon et Browne, quoique sceptiques, payèrent tribut aux préjugés de leur temps. a. m.
  2. Personnage de la Tempête, de Shakspeare. a. m.