Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus inexplicable dans cette affaire, c’est que miss Julia Mannering, qui connaissait les inquiétudes de son père au sujet de ce jeune Brown ou Bertram, comme nous devons l’appeler maintenant, l’ait rencontré le jour de l’accident de M. Hazlewood, et n’en ait rien dit à son père ; qu’elle ait enfin laissé faire des recherches contre ce jeune homme, comme s’il eût été un vagabond et un assassin. »

Julia, qui avait réuni tout son courage au commencement de cette entrevue, perdit toute sa présence d’esprit ; elle allait répondre qu’elle n’avait pas reconnu Brown ; mais, ne pouvant proférer un mensonge, elle baissa la tête et garda le silence.

« Vous ne répondez pas ? Je vous demande, Julia, si c’est la seule fois que vous ayez vu Brown, depuis son retour ?… Pas de réponse ! je dois donc supposer que vous l’aviez déjà vu. Vous vous taisez toujours !… Julia Mannering, ayez la bonté de me répondre : quel est le jeune homme qui venait sous vos fenêtres, et avec qui vous aviez des entretiens secrets, pendant votre séjour à Mervyn-Hall ? Julia, je vous ordonne… je vous prie d’être sincère. »

Miss Mannering releva la tête. « J’ai été, mon père… je crois que je suis encore une étourdie… Me retrouver en votre présence avec ce jeune homme, qui a été, sinon la cause, au moins le complice de mon étourderie, sera une expiation suffisante. » Ici, elle fit une longue pause.

« Je dois donc croire qu’il était l’auteur de la sérénade de Mervyn-Hall ? »

Cette expression, qui n’avait rien de dur, rendit un peu de courage à miss Mannering. « Oui, mon père, répondit-elle, c’était lui ; et si, comme je l’ai souvent pensé, je suis coupable, au moins je ne suis pas sans excuse. — Que voulez-vous dire ? répondit le colonel d’un ton vif et un peu brusque. — Je ne puis me résoudre à prononcer son nom, mon père ; mais… » Elle ouvrit un petit coffre, et lui remit quelques lettres. « Je vous prie de lire ces lettres ; elles vous apprendront comment cette intimité commença, et par qui elle fut encouragée. »

Mannering prit le paquet, s’approcha de la fenêtre, et parcourut rapidement quelques passages de ces lettres avec une extrême agitation. Mais son stoïcisme vint à son aide ; car cette philosophie, dont la racine est l’orgueil, porte cependant quelquefois les mêmes fruits que la vertu. Il revint auprès de sa fille, l’air aussi calme que le lui permettait son émotion intérieure.

« Autant que j’en puis juger par un coup d’œil jeté sur ces lettres,