Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/371

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Mannering fit un effort sur, lui-même. « Avec plaisir, très certainement, surtout si vous pouvez m’indiquer les moyens de vous obliger. Je crois avoir quelques torts à réparer envers vous ; je l’ai souvent pensé. Votre apparition si inattendue et si soudaine, en me rappelant de pénibles souvenirs, m’a seule empêché de vous dire, comme je le fais maintenant, que, quel que soit le motif qui me procure l’honneur de votre visite, elle m’est fort agréable. »

Berlram répondit par un salut, froid mais civil, à la politesse grave du colonel.

« Julia, ma chère, vous ferez bien de vous retirer. M. Brown, vous excuserez ma fille ; je vois que de tristes souvenirs se représentent à son esprit. »

Miss Mannering, conformément à cette invitation, se leva et se retira ; mais, en passant devant Bertram, elle laissa échapper les mots : « Encore une folie ! » mais prononcés de manière à n’être entendus que de lui. Miss Bertram suivit son amie, mais sans se hasarder à lever une seconde fois les yeux sur l’objet de sa terreur. Il y avait là, à ce qu’elle croyait, quelque méprise, et elle ne voulait pas augmenter la confusion en dénonçant l’étranger comme un assassin. Elle voyait qu’il était connu du colonel, traité par lui comme un homme bien né ; donc il n’était pas la personne qu’elle supposait, ou Hazlewood avait raison de penser que sa blessure n’était que le résultat d’un accident.

Le reste de la compagnie, après le départ des deux amies, formait un groupe digne du pinceau d’un peintre habile. Chacun était trop occupé de ses propres sentiments pour faire attention à ceux des autres. Bertram se trouvait inopinément dans la maison d’un homme qu’il était de longue date disposé à considérer comme son ennemi personnel, et à respecter pourtant comme le père de Julia ; Mannering était partagé entre le vif sentiment de la politesse et des égards dus à un étranger, la joie de se trouver innocent d’un homicide commis dans une querelle particulière, et l’aversion et les préjugés qui se ranimaient dans son esprit orgueilleux à la vue de l’homme qui les lui avait inspirés. Sampson, pouvant à peine se soutenir, se tenait appuyé sur le dos d’une chaise, les yeux fixés sur Bertram avec une expression singulière d’anxiété couvulsive qui bouleversait toute sa physionomie. Dinmont, enveloppé dans sa grande redingote, ressemblait à un ours dressé sur ses pattes de derrière, et promenait de l’un à l’autre de grands yeux où se peignait l’étonnement.