Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/341

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lant et en dirigeant sa longue canne à pomme d’étain, comme une javeline, contre la prétendue sorcière ; « au nom de ce qu’il y a de plus sacré, retire-toi, ne me touche pas… Femme, retire-toi, il y va de ta vie !… cesse, te dis-je… je suis vigoureux, et je saurai résister !… » Il ne put continuer ; Meg, avec une force surnaturelle, comme Dominie l’assura depuis, se jeta sur sa canne, para un coup qu’il voulait lui donner, et l’emporta sous la voûte « aussi facilement, dit-il, que je porterais un atlas de Kitchen. — Asseyez-vous, » lui dit-elle en le plaçant avec force, et à demi suffoqué, sur une chaise cassée ; « asseyez-vous, reprenez haleine, remettez-vous, noir pourceau d’église que vous êtes… Avez-vous le ventre plein, ou vide ? — Vide de tout, sinon du péché, » répondit Dominie qui, recouvrant la voix et trouvant que ses exorcismes ne servaient qu’à irriter l’intraitable sorcière, pensa qu’il valait mieux affecter de la bonne volonté et de la soumission : cependant il répétait tout bas la kyrielle de conjurations qu’il n’osait plus proférer tout haut. Absolument incapable de suivre en même temps le fil de deux idées différentes, Dominie entremêlait son discours et ses formules d’exorcisme, ce qui produisait un effet assez burlesque, surtout quand, s’apercevant de ces distractions, le pauvre homme essayait de les réparer pour se soustraire aux effets qu’elles pourraient produire sur l’esprit irritable de la sorcière. Cependant Meg s’était approchée d’un grand chaudron noir qui bouillait sur un feu allumé au milieu de la chambre. Quand elle ôta le couvercle, l’odeur qui en sortit, si on pouvait se fier à l’odeur qui sort d’un chaudron d’une sorcière, promettait quelque chose de mieux que les ragoûts infernaux dont on le croyait ordinairement rempli. Au fait, c’était le fumet d’une excellente fricassée de poules, de lièvres, de perdrix et de bécasses, de pommes de terre, d’oignons et de poireaux, et qui, d’après la grandeur de la marmite, paraissait préparée pour une demi-douzaine de convives au moins.

« Ainsi vous n’avez rien mangé d’aujourd’hui ? » dit Meg en mettant une bonne portion de cette fricassée sur un plat brun, et le saupoudrant avec beaucoup de sel et de poivre.

« Rien ! répondit Dominie ; rien ! scelestissima ! … c’est-à-dire bonne femme. — Eh bien ! alors, dit-elle en plaçant le plat devant lui, voilà qui va vous remettre le cœur. — Je n’ai pas faim… malefica… c’est-à-dire, mistress Merrilies ! L’odeur est appétissante, se disait-il en lui-même ; mais ce mets est préparé par une Canidie