Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/337

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génies de la capitale du Nord. — Il est vrai, dit Dominie avec une complaisance marquée, j’ai combattu sans me laisser vaincre, quoique mon adversaire fût vraiment redoutable. — Je présume, monsieur Sampson, dit miss Mannering, que cette lutte vous a un peu fatigué ? — Oui, beaucoup, ma jeune demoiselle… Mais j’avais ceint mes reins, et j’ai résisté bravement. — Je puis assurer, dit le colonel, que je n’ai jamais vu d’affaire plus chaude. Semblable à la cavalerie maratte, l’ennemi attaquait de tous les côtés et ne donnait pas prise à l’artillerie. Mais M. Sampson tenait ferme à ses canons, et tirait toujours, tantôt sur l’ennemi, tantôt sur la poussière qu’il avait élevée. Mais nous n’avons pas le temps de vous conter nos batailles ce soir… Demain nous en parlerons à déjeuner. »

Mais le lendemain Dominie ne parut point au déjeuner. Il était, dit un domestique, sorti de très bonne heure dans la matinée. Il lui arrivait si souvent d’oublier l’heure des repas, que jamais son absence n’inquiétait personne. La femme de charge, vieille dame fort honnête et presbytérienne dans l’âme, qui, par cela même, avait la plus haute idée de la science théologique de Sampson, avait soin en pareil cas que ses distractions ne lui portassent aucun préjudice, et de lui rappeler, à son retour, ses besoins terrestres ; elle pourvoyait à ce qu’il pût les satisfaire. Mais rarement s’absentait-il pendant deux repas de suite, comme il arriva en cette occasion. Nous devons expliquer la cause de cet événement extraordinaire.

La conversation que M. Pleydell avait eue avec Mannering, au sujet de la disparition d’Henri Bertram, avait réveillé toutes les émotions pénibles dont ce malheur avait frappé Sampson. Le cœur aimant du pauvre Dominie lui avait toujours reproché que sa négligence, en confiant l’enfant à Frank Kennedy, avait été la cause première du meurtre de cet officier, de la perte d’Henri, de la mort de mistress Bertram, et de la ruine de la famille de son patron. C’était un sujet sur lequel il ne conversait jamais… si sa manière de parler pouvait s’appeler conversation… mais qui était toujours présent à son esprit. L’espèce de conviction, si clairement exprimée dans le testament de mistress Bertram, avait excité dans le cœur de Sampson une douce espérance ; mais quand il vit Pleydell ne pas la partager, à cette espérance déçue succéda une inquiétude qui allait presque au délire. « Assurément, pensait Sampson, M. Pleydell est un homme érudit, très versé dans les graves matières de la jurisprudence ; mais c’est aussi un homme d’un caractère léger, qui parle sans réflexion. Pourquoi d’ailleurs