Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/327

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quoique nous demeurions si près de la douane. Je vais voir à vous faire allumer du feu et à vous trouver à dîner. Ma foi ! vous n’aurez qu’un méchant dîner aujourd’hui, car on n’attendait pas si belle ni si bonne compagnie. » Et mistress Mac-Guffog alla chercher en toute hâte un panier de charbon ; après en avoir rempli la grille rouillée, qui n’avait pas senti le feu depuis plusieurs mois, et sans avoir essuyé ses mains encore toutes noires, elle se mit à déployer les draps, hélas ! bien différents de ceux d’Ailie Dinmont ; murmurant tout bas et paraissant, par une morosité habituelle de caractère, regretter même les fournitures qu’on devait lui payer. À la fin, pourtant, elle partit en marmottant entre ses dents « qu’elle aimerait mieux monter la garde que d’avoir à servir ces beaux fils si difficiles et si remplis d’idées capricieuses. »

Quand elle fut sortie, Bertram se trouva réduit à l’alternative de se promener dans son petit appartement pour prendre de l’exercice, ou de contempler la mer, autant que le lui permettaient les carreaux sales et étroits de la fenêtre, et paraissant obscurcis en outre par d’énormes barreaux de fer ; ou de lire les plaisanteries stupides et les grossièretés que le désespoir avait griffonnées sur les murs à demi blanchis. Les sons qui frappaient ses oreilles n’étaient guère plus agréables : c’était le bruit triste de la marée qui se retirait alors, ou, de temps à autre, une porte qui s’ouvrait et se fermait avec tous les accompagnements rauques et discordants des verroux et des gonds dont la musique se mêlait souvent à l’ennuyeuse monotonie des flots. Quelquefois aussi il pouvait entendre l’affreux grognement du geôlier, ou la voix criarde de sa femme, presque toujours montée sur un ton de mécontentement, de colère et d’insolence. D’autres fois, le gros mâtin enchaîné dans la cour répondait par des aboiements furieux aux agaceries des prisonniers oisifs qui se faisaient un jeu de l’irriter.

Enfin, l’ennui de cette solitude fut interrompu par l’entrée d’une servante mal propre qui vint faire quelques préparatifs pour le dîner, en couvrant d’une nappe à moitié sale une table tout-à-fait dégoûtante. Un couteau et une fourchette usés, mais non par le nettoyage, flanquaient une assiette de faïence fêlée ; un moutardier presque vide, placé d’un côté de la table, faisait le pendant d’une salière contenant quelques grains d’un mélange gris ou plutôt blanchâtre, placée de l’autre côté : ces deux meubles, en terre cuite, portaient des marques trop évidentes qu’on venait de s’en servir. Bientôt après, la même Hébé apporta un plat de tranches de bœuf