Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/32

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un homme d’affaires, ce qui le conduisit au même résultat. Sous l’administration de cet homme, de petites dettes devinrent fortes, les intérêts s’accumulèrent avec les capitaux, des rentes à terme devinrent perpétuelles, et les frais de procès furent ajoutés à cela, quoique Ellangowan eût l’esprit si peu litigieux que deux fois il fut obligé de payer les dépens d’un long procès dont il n’avait jamais entendu parler. Cependant ses voisins prédisaient sa ruine totale ; ceux d’un rang plus élevé, avec quelque malignité, le regardaient déjà comme un frère dégradé. Les basses classes, qui n’avaient rien à lui envier, avaient plus de compassion pour ses malheurs. Il était en quelque sorte leur favori. Quand on partageait un bien communal, quand on saisissait un pêcheur ou un chasseur en contravention contre les lois, ou dans toutes autres semblables occasions où ils se croyaient opprimés par les nobles, ils avaient l’habitude de se dire l’un à l’autre : « Ah ! si le brave homme d’Ellangowan avait tout ce qui appartenait à ses ancêtres, il ne voudrait pas voir de pauvres gens vexés de la sorte. » Cependant cette bonne opinion ne les empêchait pas de prendre leur avantage à son détriment dans toutes les occasions, en faisant paître leurs troupeaux dans son parc, en volant son bois, en tuant son gibier ; aussi disaient-ils : « Le laird n’en saura jamais rien ; il ne s’inquiète pas de ce que font les pauvres gens. » Les colporteurs, les Égyptiens, les chaudronniers et les vagabonds de toute espèce rôdaient autour de sa maison ou s’encombraient dans sa cuisine ; et le laird, qui n’était pas un garçon fier, mais une parfaite commère comme la plupart des hommes faibles, se trouvait payé de son hospitalité par le plaisir de les questionner sur les nouvelles du pays voisin.

Une circonstance arrêta Ellangowan sur le penchant de sa ruine. Ce fut son mariage avec une lady qui lui apporta en dot environ 4 000 livres sterling. Personne dans le voisinage ne pouvait concevoir pourquoi elle l’épousait et lui apportait cette fortune, si ce n’est qu’Ellangovvan avait une belle et grande taille, des traits agréables, une tournure prévenante et une humeur joviale. On peut ajouter aussi, comme une autre considération, qu’elle était sur le retour, qu’elle avait vingt-huit ans, et qu’elle n’avait pas de proches parents pour contrôler ses actions et son choix.

C’était pour cette dame, grosse alors de son premier enfant, que l’actif et vigilant exprès dont avait parlé la vieille femme de la cabane, avait été dépêché à Kippletringan la nuit de l’arrivée de Mannering.