Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coussins, des oreillers, et, ce qui affligeait beaucoup Dominie, avec des in-folio qu’on avait apportés à la hâte de la bibliothèque ; si bien qu’il n’y avait que quelques petits jours pour que les assiégés pussent faire feu sur les assaillants.

« Toutes les dispositions de mon père étant faites, nous restâmes assises dans la chambre, où il ne faisait plus clair, attendant avec anxiété ce qui allait arriver, les hommes se tenant silencieux à leur poste, occupés sans doute à réfléchir, non sans inquiétude, au danger qui approchait. Mon père, aussi tranquille qu’à son ordinaire, allait de l’un à l’autre, et réitérait l’ordre que personne ne fît feu avant qu’il en donnât le signal. Hazlewood, qui semblait puiser le courage dans les yeux de mon père, lui servait d’aide-de-camp, et portait avec la plus grande activité ses ordres à droite et à gauche, et les faisait exécuter sous ses yeux. Nos forces, les douaniers compris, pouvaient bien s’élever à douze hommes.

« Enfin, le silence qui régnait pendant cette pénible attente, fut interrompu par un bruit qui, dans l’éloignement, ressemblait au murmure d’un ruisseau, mais que nous reconnûmes pour les pas d’une troupe de chevaux qui s’avançaient au galop. Une ouverture à travers les barricades des fenêtres me permit de voir l’ennemi s’avancer. Plus de trente hommes s’élancèrent sur l’esplanade et se dirigèrent vers la maison. Jamais vous n’avez vu d’aussi horribles figures : malgré la rigueur de la saison, la plupart étaient en chemise et en pantalon de matelot, avec des mouchoirs de soie noués autour de leur tête ; tous armés de carabines, de pistolets ou de coutelas. Moi, fille d’un militaire, accoutumée dès mon enfance au bruit des armes, je ne fus de ma vie autant effrayée qu’à l’aspect de ces brigands. Leurs chevaux étaient couverts d’écume, à cause de la rapidité de leur course. Quand ils virent qu’ils arrivaient trop tard et que leur proie leur échappait, ils exprimèrent leur rage et leur dépit par d’horribles cris. Ils s’arrêtèrent cependant un instant à la vue des préparatifs qu’on avait faits pour les recevoir, et parurent tenir conseil entre eux. Enfin, un des leurs, qui s’était noirci le visage avec de la poudre afin de se rendre méconnaissable, s’avança après avoir attaché un mouchoir blanc au bout de sa carabine, et demanda à parler au colonel Guy Mannering. Mon père, et j’en fus horriblement effrayée, ouvrit la fenêtre près de laquelle il était posté, et lui demanda ce qu’il voulait. « Nous voulons, répondit-il, nos marchandises qui nous ont été enlevées par ces brigands de douaniers. Le lieutenant m’a chargé de vous dire