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barque, la clarté faisait apercevoir les pêcheurs, les uns immobiles, guettant leur proie, les autres le bras levé pour la frapper : leurs visages, colorés d’une teinte de rouge-cuivré, faisaient de la barque une espèce de Pandémonion.

Après s’être amusé quelque temps de ces cets variés d’ombre et de lumière, Brown prit la route qui conduisait à la ferme, regardant dans son chemin les hommes occupés à la pêche. Ils sont ordinairement trois ensemble : l’un tient la torche, et les autres, le harpon à la main, sont prêts à frapper le poisson. Ayant aperçu un homme qui luttait, pour l’amener sur le rivage, avec un énorme saumon qu’il avait harponné, Brown s’avança pour voir le résultat de cette capture ; celui qui tenait alors la torche était le veneur dont il avait déjà remarqué avec surprise la conduite.

« Venez ici, monsieur ! venez, regardez ce saumon ! il est vraiment aussi gras qu’un pourceau, » s’écrièrent plusieurs spectateurs en voyant Brown s’avancer.

« Appuyez-bien le waster, l’homme ! appuyez-bien le waster ! tenez-le en bas, vous n’avez pas la force d’un chat ! » tels étaient les avis, les encouragements et les conseils que les spectateurs placés sur le rivage donnaient au pêcheur qui se débattait avec le saumon ; il était à moitié dans l’eau, au milieu de la glace brisée, luttant contre la force du poisson et la rapidité du courant, et ne sachant de quelle manière il pourrait s’assurer de sa proie. Brown, en arrivant, cria au veneur : « Levez donc votre torche, l’ami ! » Il avait déjà distingué ses traits basanés, à la lueur du brasier enflammé ; mais celui à qui il s’adressait n’eut pas plus tôt entendu la voix de Brown, et vu qu’il était près de lui, qu’au lieu d’élever sa torche, il la laissa tomber dans l’eau, comme par accident.

« Le diable soit de Gabriel ! » s’écria celui qui tenait l’épieu, en voyant la torche flotter sur l’eau presque éteinte ; « le diable soit de lui ! je ne viendrai jamais à bout de ce saumon, sans lumière ; si je pouvais l’amener à terre, jamais un plus beau kipper n’aurait été sur une paire de cleeks[1]

  1. Le cleek dont on parle ici est le crochet de fer ou les crocs pendus dans la cheminée d’une chaumière écossaise, et où l’on suspend le pot lorsqu’on veut le faire bouillir. On appelle ce même instrument crémaillère. Ordinairement on fait sécher le saumon à la fumée du feu de tourbe, en le pendant à ces cleeks, après l’avoir coupé par tranches et frotté de sel : cette préparation est appelée reist. Le saumon ainsi préparé est mangé comme un mets délicat sous le nom de kipper, mets auquel le docteur Redgill a donné sa sanction comme un plat du déjeuner écossais. a. m.