Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/159

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Le premier objet qui frappa ses yeux dans la cuisine fut un homme grand et robuste, vêtu d’une ample redingote, qui paraissait être un campagnard : c’était le propriétaire du cheval qui était sous l’appentis. Il s’occupait à dépecer d’énormes tranches de bœuf bouilli et froid, et jetait de temps en temps un coup d’œil par la croisée pour voir si son coursier s’occupait de sa provende. Un grand pot d’ale flanquait son plat de viande, et il avait soin de l’approcher de ses lèvres de temps en temps. La bonne femme de l’auberge mettait son pain au four. Le feu, comme c’est l’usage dans cette contrée,

    surprendrait avant qu’il gagnât le territoire écossais, qu’on regardait comme le plus sûr. Mais Fighting Charlie, quoique s’étant laissé retenir plus long-temps que ne le voulait la prudence, ne regardait pas Mump’s-Hall comme un endroit assez sûr pour y passer la nuit. Il partit donc, malgré la promesse d’un bon souper et les paroles engageantes de Meg ; il monta sur son cheval, après avoir d’abord visité ses pistolets et s’être assuré par la baguette si la charge y était encore.
    Il fit environ un mille ou deux au petit trot ; et lorsque le Waste devint plus noir, la terreur commença à venir dans son esprit, en se rappelant la bonté inaccoutumée de Meg, qu’il ne put s’empêcher de regarder comme un mauvais augure. En conséquence, il résolut de recharger ses pistolets, de peur que la poudre n’eût pris de l’humidité ; mais quelle fut sa surprise, lorsqu’il les débourra, de ne trouver ni poudre ni balle : chaque canon avait été soigneusement rempli d’étoupes jusqu’à la hauteur qu’aurait dû occuper la charge ; mais l’amorce, laissée intacte, ne pouvait trahir l’insuffisance de ces armes qu’au moment même où on aurait eu besoin d’en faire usage. Charlie prononça de tout son cœur une malédiction de Liddesdale sur son hôtesse, et rechargea ses pistolets avec soin et attention, ne doutant pas qu’il serait attaqué dans sa route. Il n’avait pas parcouru une longue partie du Waste, qui n’était traversé que par quelques routes telles qu’on les décrit dans le texte, lorsque deux ou trois coquins déguisés et armés sortirent d’un taillis. Charlie marchait, comme dit l’Espagnol, la barbe sur l’épaule : un coup d’œil lui fit voir que la retraite était impossible, car il en aperçut deux autres derrière lui à quelque distance. Il ne perdit pas de temps à réfléchir, et il trotta hardiment vers les ennemis qu’il avait en face de lui, et qui lui criaient d’arrêter et de jeter sa bourse. Charlie donna des éperons à son cheval, et leur présenta son pistolet. « Au diable votre pistolet ! » dit le premier voleur, que Charlie, même à son lit de mort, professa être le maître de Mump’s-Hall ; « au diable votre pistolet ! je m’en soucie peu. — Hé ! mon garçon, dit Fighting Charlie avec sa grosse voix ; mais l’étoupe n’est plus dedans. » Il n’eut pas besoin d’en dire davantage. Les coquins, surpris de trouver un homme d’un courage reconnu, bien armé, au lieu de le surprendre sans défense, s’enfuirent de tous côtés, et il continua sa route sans autre rencontre fâcheuse.
    L’auteur a entendu raconter cette histoire à des personnes qui la tenaient de Charlie lui-même ; il a aussi entendu dire que Mump’s-Hall fut ensuite le théâtre de plusieurs assassinats qui menèrent les habitants de cette auberge à la potence. Mais tout cela est arrivé il y a un demi-siècle, et le Waste est depuis bon nombre d’années aussi sûr que tout autre endroit du royaume.
    (Note traduite sur la nouvelle édition d’Édimbourg.a. m.).