Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/78

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des fruits qui eurent une longue et funeste influence sur son caractère, son bonheur et son intérêt.

La puissance de la vive imagination d’Édouard, son amour passionné des lettres, loin de remédier à ce mal ne firent que l’aggraver. La bibliothèque de Waverley-Honour, vaste salle gothique, avec de doubles arceaux et une galerie, contenait une collection immense et variée de volumes, réunis pendant le cours de deux siècles, par une famille qui, ayant toujours été riche, regardait comme un devoir et comme une marque de sa magnificence d’en garnir les rayons de toutes les productions de la littérature du jour, sans trop de choix ou de discernement. On permit à Édouard de se jeter au travers de ce vaste empire. Son précepteur avait ses études particulières, et puis la politique de l’Église, les controverses religieuses, jointes à l’amour des studieux loisirs, étaient cause que, bien qu’il suivît à des heures fixes les progrès de l’héritier présomptif de son patron, il saisissait cependant avec empressement tout prétexte de ne pas surveiller sévèrement et régulièrement les études générales d’Édouard. Sir Éverard n’avait jamais été studieux, et comme sa sœur, miss Rachel Waverley, avait l’opinion vulgaire que la lecture est incompatible avec l’oisiveté des nobles, et qu’il est suffisamment méritoire de parcourir des yeux les caractères alphabétiques, sans se donner la peine de pénétrer les idées qui peuvent en résulter. Ainsi, avec le désir d’amusement qu’une meilleure direction eût pu faire tourner au profit de l’instruction, le jeune Waverley se jeta au milieu de cet océan de livres, comme un vaisseau sans pilote et sans gouvernail. Il n’est peut-être point d’habitude qui, si on s’y abandonne, s’accroisse de plus en plus que celle de lire au hasard et sans but, surtout lorsqu’on en trouve des occasions aussi favorables. Je pense qu’une des raisons qui font que l’on trouve tant d’exemples d’érudition dans les basses classes de la société, c’est qu’avec les mêmes facultés intellectuelles, l’étudiant pauvre est borné à un cercle étroit dans sa passion pour les livres, et doit nécessairement s’en pénétrer tout entier avant de pouvoir s’en procurer d’autres. Édouard, au contraire, comme cet épicurien qui ne daigne mordre que le côté de la pêche bruni par le soleil, jetait un volume dès qu’il ne piquait plus sa curiosité, ou n’excitait plus son intérêt ; et il arriva nécessairement que plus il poursuivait ce genre de plaisir, plus il trouvait de difficulté à l’atteindre, jusqu’à ce que cette passion de lecture par-