Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/74

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grave, le comte donnait successivement à la sagesse, au bon sens, aux admirables qualités de ses première, seconde, troisième, quatrième et cinquième filles. Le souvenir de ce non-succès produisit sur sir Éverard l’effet qu’il eût produit sur tout caractère froid, fier, sensible et indolent, et l’empêcha de s’exposer de nouveau à recevoir une semblable mortification, et à entreprendre désormais une tâche aussi pénible qu’inutile. Il continua de vivre à Waverley-Honour comme un vieux gentleman anglais d’une antique origine et de grande opulence. Sa sœur, miss Rachel Waverley, faisait les honneurs de sa table : et ils devinrent insensiblement, lui vieux garçon, elle vieille fille, en offrant à ceux qui se vouent au célibat un modèle de douceur et de bonté.

La colère violente de sir Éverard contre son frère fut de peu de durée ; toutefois le sentiment pénible que lui inspirait le whig et le fonctionnaire public, quoique impuissant pour le pousser à aucune mesure préjudiciable aux intérêts de Richard en ce qui concernait l’héritage de famille, maintint du froid entre eux. Richard connaissait assez le monde et le caractère de son frère, pour penser que toute avance précipitée et mal combinée de sa part ne pourrait qu’exciter contre lui la désaffection de son frère. Un hasard les rapprocha : Richard avait épousé une jeune personne d’une grande famille, dont la parenté et la fortune devaient l’élever aux plus hauts emplois ; et par sa femme il devint possesseur d’un domaine de quelque valeur à plusieurs milles de Waverley-Honour.

Le petit Édouard, héros de cet ouvrage, alors âgé de cinq ans, était leur unique enfant. Un jour qu’il s’éloigna avec sa bonne de plus d’un mille de l’avenue de Brere-wood-Lodge, résidence de son père, une voiture attelée de six beaux chevaux noirs à longue queue, et dont les ciselures et les dorures eussent fait honneur au carrosse du lord-maire, attira leur attention. Cette voiture arrêtée attendait le maître qui, à peu de distance, regardait une maison de ferme à moitié bâtie. Je ne sais si l’enfant avait eu pour nourrice une femme du pays de Galles ou d’Écosse, et comment il associait à l’idée de propriété personnelle l’écusson aux trois hermines, mais il n’eut pas plus tôt remarqué ces armes de famille, qu’il voulut à toute force revendiquer ses droits sur la magnifique voiture où elles étaient peintes. Le baronnet survint tandis que la bonne faisait de vains efforts pour déterminer l’enfant à renoncer à vouloir s’approprier le carrosse doré et les six chevaux. La rencontre fut heureuse pour Édouard, car tout jus-