Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps le baronnet et son jeune frère, Richard Waverley, père de notre héros. Sir Éverard avait hérité de ses aïeux de tous les préjugés et de toutes les préventions de torys et d’anglicans qui avaient signalé la maison de Waverley depuis la grande guerre civile. Richard, au contraire, qui était moins âgé de dix ans, qui ne se voyait pour tout avoir qu’une fortune de cadet, ne pensa pas qu’il y eût pour lui honneur ou profit à jouer le rôle de complaisant. Il apprit de bonne heure, que pour réussir dans le monde, on ne devait point se charger de lourds bagages. Les peintres parlent de la difficulté d’exprimer plusieurs passions à la fois sur une même figure ; il n’est pas moins difficile pour les moralistes d’analyser la combinaison des motifs qui deviennent les mobiles de nos actions.

Richard Waverley trouva dans l’histoire et dans ses réflexions des arguments en faveur de cette maxime d’une ancienne chanson,

« Une passive et lâche obéissance
Nous asservit ; vire la résistance ! »

La raison n’eût probablement pas suffi pour combattre et déraciner des préjugés héréditaires, si Richard eût pu prévoir que son frère aîné, dominé par un chagrin d’amour de sa jeunesse, serait resté garçon jusqu’à soixante-douze ans. La perspective de sa succession, quelque éloignée qu’elle fût, lui eût fait sans doute supporter de traîner dans le château, pendant la majeure partie de sa vie, le titre de master Richard, le frère du baronnet, en attendant qu’il prît un jour avant que de mourir le nom de Richard Waverley de Waverley-Honour, et qu’il héritât d’un domaine digne d’un prince, et d’une immense influence politique comme chef des intérêts du comté où se trouvait ce domaine. Mais comment Richard, quand il débuta dans le monde, pouvait-il s’attendre à ce résultat, lorsque sir Éverard, encore au printemps de sa vie, était sûr de se voir accueilli favorablement dans toutes les familles dès qu’il voudrait une épouse, soit qu’il recherchât la richesse ou qu’il courût après la beauté, et quand régulièrement une fois l’an le bruit de son mariage amusait les loisirs des châteaux voisins ? Son jeune frère ne vit d’autre moyen pour arriver à l’indépendance, que de ne compter que sur ses propres efforts, et d’adopter une croyance politique plus en rapport avec sa raison et ses intérêts que ne pouvait l’être la fidélité