Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/426

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parlai ; il ne me répondit pas. Une inquiétude, un trouble inexprimable, faisaient battre mon cœur ; pour vérifier mes craintes, je m’arrêtai ; sans changer de place je me tournai successivement vers les quatre points cardinaux. Édouard, je vous le dis à la face du ciel, de quelque côté que je me tournasse, la figure était devant moi, toujours exactement à la même distance ! Alors je ne pus douter que ce ne fût le Bodach Glas : ma chevelure se hérissa, mes genoux se dérobaient sous moi ; cependant je m’armai de courage, et je résolus de revenir à mon quartier. Mon affreux compagnon, — je ne puis dire qu’il marchait, — glissa devant moi jusqu’à ce que nous fussions arrivés au petit pont ; là il fit volte-face. Il fallait ou traverser la rivière à gué, ou passer aussi près de lui que je le suis de vous : un courage désespéré, car je croyais toucher à l’instant de ma mort, m’inspira la résolution de m’ouvrir le passage en dépit du fantôme ; je fis le signe de la croix, tirai mon épée, et m’écriai : Au nom de Dieu, esprit malin, fais moi place. « Vich-Jan-Vohr, répondit-il d’une voix qui glaça mon sang dans mes veines, prends garde à demain ! » À ce moment il ne paraissait plus qu’à un demi-pied de la pointe de mon épée ; mais à peine ces mots furent-ils prononcés qu’il disparut, et aucune apparition ne s’opposa plus à mon passage. De retour à mon quartier, je me jetai sur mon lit, et j’y passai quelques heures dans une agitation que vous pouvez deviner : le matin, comme on n’annonçait pas que l’ennemi nous eût atteints, j’ai pris mon cheval et je suis venu pour avoir une explication avec vous ; il me serait très-pénible de mourir sans m’être réconcilié avec un ami que j’ai offensé. »

Édouard ne doutait pas que ce fantôme ne fût une création de l’imagination de Fergus, exaltée par le désespoir, par l’épuisement de sa santé, et par la crédulité naturelle aux Highlandais pour de pareilles superstitions ; il n’en était pas moins disposé à plaindre Fergus ; l’abattement où il le voyait faisait revivre toute son ancienne tendresse pour lui. Dans l’espérance qu’il parviendrait à le distraire de ces funestes images, il lui dit qu’il allait demander au baron, qui ne la lui refuserait pas, la permission de rester dans son quartier jusqu’à ce que le corps de Fergus fût arrivé, et alors qu’il se remettrait à marcher avec lui comme autrefois. Le chef parut charmé de cette proposition, cependant il hésita à l’accepter.

« Nous sommes maintenant à l’arrière-garde, le poste le plus