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Avant qu’Édouard fût assez maître de lui pour pouvoir parler, le colonel Talbot avait repris les manières calmes et froides qui lui étaient ordinaires, mais le trouble de ses regards faisait assez voir l’horrible agitation de son esprit.

« C’est une femme, mon jeune ami, pour laquelle il est pardonnable même à un soldat de pleurer. » En parlant ainsi, il lui présenta une miniature où Édouard aperçut des traits qui justifiaient pleinement cet éloge. Et pourtant Dieu sait que vous ne voyez ici que la plus faible partie des charmes qu’elle possède… qu’elle possédait, dois-je dire peut-être… Mais que la volonté du ciel s’accomplisse !… » — « Colonel, il faut partir… partir à l’instant pour la sauver ! Il n’est pas… il ne sera pas trop tard. » — « Partir ! comment cela ? Je suis prisonnier sur parole ! » — Je suis votre gardien… Je vous rends votre parole… Je répondrai pour vous. » — « Vous agiriez contre votre devoir ; et moi je pourrais, sans manquer à l’honneur, me croire dégagé par vous de ma parole… on vous en rendrait responsable. »

« J’en répondrai sur ma tête, s’il faut, s’écria avec impétuosité Waverley. J’ai été la cause infortunée de la mort de votre enfant ; ne faites pas que je sois l’assassin de votre femme. »

« Non, mon cher Édouard, dit le colonel Talbot en lui prenant affectueusement la main, vous ne méritez aucun reproche ; et, si depuis deux jours je vous cache ces malheurs domestiques, c’était de crainte qu’un excès de sensibilité ne vous portât à vous les imputer à vous-même. Vous ne pouviez penser à moi, à peine saviez-vous que je fusse au monde, quand je quittai l’Angleterre pour me mettre à votre recherche. C’est, Dieu le sait, une assez lourde responsabilité pour l’homme de rendre compte des conséquences prévues et nécessaires de ses actions… Pour leurs suites indirectes et éloignées, l’Être souverainement bon et puissant, qui seul prévoit l’enchaînement des événements humains les uns avec les autres, n’a pas ordonné que ses faibles créatures en fussent responsables. »

« Mais, dit Waverley avec beaucoup d’émotion, si vous n’aviez pas quitté lady Émilie dans la situation la plus intéressante pour un mari, pour vous mettre à la poursuite d’un… »

« Je n’ai fait que mon devoir, répondit le colonel Talbot avec calme ; et je ne le regrette pas, je ne dois pas le regretter. Si le sentier de la reconnaissance était toujours uni et facile, il y aurait peu de mérite à ne pas s’en écarter ; mais nos devoirs sont