Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/336

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niers mots, qu’il avait un motif différent et fort généreux, tout personnel à notre héros, pour prolonger cet entretien. « Je ne puis, dit-il, résister à la tentation de me vanter de ma discrétion comme confident d’une dame : vous le voyez, monsieur Waverley, je sais tout, et je vous assure que je m’intéresse vivement à cette affaire. Mais, mon jeune et cher ami, il faut mieux cacher vos sentiments. Il y a ici bien des personnes dont les yeux peuvent voir aussi clairement que les miens, mais il vous est impossible de compter sur leur discrétion comme sur la mienne. »

À ces mots il se détourna avec aisance, et rejoignit un groupe d’officiers à quelques pas, laissant Waverley réfléchir sur sa dernière phrase ; et s’il n’en pouvait comprendre tout le sens, il comprenait du moins qu’on lui recommandait la prudence. Faisant donc un effort pour se montrer digne de l’intérêt que son nouveau maître lui avait témoigné, en suivant sans plus tarder ses conseils, il se dirigea vers l’endroit où Flora et miss Bradwardine étaient assises ; et, après avoir présenté ses respects à cette dernière, il réussit, au-delà même de son attente, à tenir une conversation banale.

Mon cher lecteur, s’il vous est jamais arrivé de prendre des chevaux de poste à… ou à… (il vous sera facile de remplir un au moins de ces blancs, et les deux, sans doute, avec le nom d’une auberge voisine de votre demeure), vous avez à coup sûr observé, et probablement avec peine et sympathie, la répugnance qu’ont les pauvres haridelles à charger d’abord leur cou galeux du collier et des harnais. Mais quand l’argument irrésistible du postillon les a forcées à courir un mille ou deux, elles ne songent plus à leurs premières douleurs ; et, dès qu’elles sont échauffées, comme disent les postillons, elles galopent aussi vite que si elles n’avaient jamais eu d’écorchures au garrot. Cette comparaison peint si bien les sensations de Waverley dans le cours de cette mémorable soirée, que je la préfère (et surtout elle est, je pense, fort originale) à une métaphore plus brillante qu’aurait pu me fournir l’Art poétique de Byshes.

Tout effort a, comme la vertu, sa propre récompense ; et notre héros avait d’ailleurs d’autres motifs non moins puissants pour persister à feindre la froideur et à jouer l’indifférence en retour du mauvais accueil de Flora. L’amour-propre, qui applique sur les plaies de l’amour des caustiques salutaires, quoique douloureux, vint bientôt à son secours. Honoré de la faveur du prince ;