Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/304

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En moins d’une ou deux minutes, par un de ces changements soudains d’atmosphère, si fréquents dans un pays de montagnes, une brise s’éleva et balaya devant elle les nuages qui avaient obscurci l’horizon ; puis l’astre de la nuit éclaira de toute sa lumière une vaste bruyère grisâtre, bordée de taillis et d’arbres chétifs dans la partie d’où ils venaient, mais unie et nue du côté qui leur restait à parcourir, de façon que la sentinelle pouvait tout voir. Les murs de la bergerie les cachaient bien tant qu’ils restaient baissés, mais il semblait impossible de quitter cet abri sans être aperçu.

Le montagnard fixait la voûte azurée ; mais, au lieu de bénir l’utile clarté des cieux, comme les héros d’Homère, ou plutôt comme le paysan de Pope, surpris par la nuit[1], il murmura un juron gaëlique contre la lanterne de Mac-Farlane, qui brillait mal à propos[2]. Il regarda quelque temps d’un air inquiet autour de lui, puis sembla prendre une résolution. Laissant son compagnon avec Waverley, après avoir fait signe à Édouard de rester tranquille et donné à voix basse des instructions à son camarade, il s’éloigna, favorisé par l’inégalité du terrain, dans la direction qu’ils avaient prise, et de la manière qu’ils étaient venus. Édouard, le suivant des yeux, l’aperçut qui courait à quatre pattes avec l’agilité d’un Indien, profitant, pour n’être point vu, des moindres buissons, du moindre monticule, et ne franchissant jamais un endroit découvert qu’au moment où la sentinelle avait le dos tourné. À la fin, il gagna les taillis et les buissons qui couvraient presque toute la lande de ce côté et s’étendaient sans doute jusqu’au bord du vallon où notre héros avait si long-temps demeuré. Le montagnard disparut, mais seulement pour quelques minutes ; car il sortit de nouveau par un autre côté, et s’avançant bravement sur la bruyère comme pour se faire voir, épaula son fusil, et tira sur le factionnaire. Une blessure au bras interrompit fort désagréablement le pauvre diable au milieu de

  1. Allusion à la traduction de l’Iliade. a. m.
  2. Le clan de Mac Farlane, qui occupait, dit Walter Scott, le territoire à l’ouest du lac Lomond, exerçait de grandes déprédations sur les basses terres ; et comme les excursions de ces montagnards s’opéraient ordinairement pendant la nuit, on disait proverbialement que la lune était leur lanterne. Leur célèbre pibroch de Hoggil-Nambo (c’est le nom de leur chant de ralliement) se rapporte à ces habitudes de déprédation ; en voici le sens :
    « Nous enlevons les bœufs à travers les fondrières, les collines, les monts, dans l’orage et la pluie. Lorsque la lune jette ses rayons sur le lac glacé ou sur des montagnes de neige, nous nous mettons en route avec gaieté, et tout cela pour un petit gain. a. m.