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mes des bois ; il avait eu la faculté d’observer avec soin ce que sans doute il eût peint avec force et expression. Enfin l’auteur croit que son frère eût parcouru avec distinction cette belle carrière dans laquelle M. Cooper a depuis obtenu de si nombreux triomphes. Mais la santé de Thomas Scott devenait de plus en plus chancelante, ce qui le rendait tout à fait impropre aux travaux littéraires, quand bien même il eût eu la patience de s’y livrer. Il n’écrivit jamais, je crois, une seule ligne de l’ouvrage projeté, et j’ai eu seulement la triste consolation de conserver une simple anecdote qui devait servir de base à son ouvrage[1].

Je puis aisément concevoir que diverses circonstances aient semblé confirmer le bruit général que mon frère avait pris part aux ouvrages publiés par moi. En effet, j’avais eu occasion de lui faire passer vers cette époque-là même, par suite d’arrangements de famille, quelques sommes considérables d’argent. Je dirai en outre, que s’il arrivait qu’au sujet de mes ouvrages, quelqu’un fît preuve d’une curiosité particulière, mon frère était tout naturellement porté à se divertir de ces gens aux dépens de leur crédulité.

Je dirai aussi que, pendant que la paternité de ces romans m’était de temps à autre contestée en Angleterre, les libraires étrangers n’hésitaient pas à mettre mon nom en tête de chacun d’eux, et en tête aussi de divers autres auxquels je n’avais aucun droit.

Les volumes auxquels les présentes pages servent de préface

  1. Dans cette anecdote très-insignifiante et que Walter Scott dit lui-même ne pas mériter d’être rapportée, il s’agit d’une dispute au collège entre de jeunes écoliers relativement à une partie de ballon. Après s’être querellés et bien boxés, l’un d’eux reçut un coup de couteau, mais il ne voulut point dénoncer le coupable. Voici seulement les réflexions ajoutées à ce sujet par Walter Scott :
    «  Peut-être n’aurais-je pas dû insérer cette anecdote d’écolier ; mais, outre la forte impression que l’incident fit sur moi à l’époque où il se passa, il fait naître en mon cœur des souvenirs tristes et solennels. À toute la petite bande qui se plaisait dans ces jeux et ces combats, je puis à peine me rappeler qu’un seul ait survécu : les uns renoncèrent à ces batailles fictives pour aller mourir en servant la patrie : d’autres cherchèrent des climats lointains pour ne plus revenir au lieux de leur naissance, d’autres enfin sont dispersés dans différents sentiers de la vie, et mes yeux obscurcis de pleurs les cherchent vainement aujourd’hui. De cinq frères, je suis le seul qui ait survécu, et cependant ils étaient plus robustes et promettaient beaucoup plus que moi dont l’enfance éprouva une infirmité personnelle et dont la santé, même après cette époque, sembla long-temps faible et précaire. Le plus chéri, le plus digne de l’être, celui qui désirait que cet incident fût la base d’une composition littéraire, mourut avant le temps sur une plage lointaine et étrangère. Des choses vaines et frivoles prennent une importance dont elles ne sont pas susceptibles en elles-mêmes, lorsqu’elles se rattachent à l’existence de ceux que nous avons aimés et perdus. »