Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les, une partie de la vive et puissante émotion qui semblait le dominer ; elle ne connaissait point d’ailleurs le caractère du capitaine et jusqu’à quel point il se laissait impressionner par son imagination : aussi considérait-elle son hommage comme le tribut passager qu’une femme d’une beauté même ordinaire pouvait attendre dans une situation semblable à la sienne. Elle s’éloigna alors à pas lents de l’endroit où elle se trouvait, et s’arrêta vers un point assez distant de la cascade pour que le bruit de sa chute pût accompagner plutôt qu’interrompre les sons de sa voix et de son instrument, et s’asseyant sur un fragment de rocher moussu, elle prit la harpe des mains de Cathleen.

« Je vous ai donné la peine de venir de ce côté, capitaine Waverley, dit-elle, parce que je pensais que le paysage nous offrirait de l’intérêt, et que des chants highlandais perdraient trop dans mon imparfaite traduction si je ne vous les présentais accompagnés de tous ces accidents sauvages appropriés à leur nature. Pour parler le langage poétique de mon pays, c’est au milieu des collines secrètes et solitaires que la muse celtique a fixé son séjour ; elle aime à marier sa voix au murmure du ruisseau de la montagne ; celui qui l’invoque doit préférer le rocher nu à la vallée fertile, et la solitude du désert aux fêtes splendides des palais. »

En entendant cette beauté ravissante prononcer ces mots d’une voix harmonieuse et exaltée, qui ne se serait écrié que la muse invoquée par elle ne pourrait jamais trouver un être plus digne de la représenter ? Mais, quoique cette pensée se présentât à l’esprit d’Édouard, il n’eut pas le courage de l’exprimer : les sensations délicieuses que lui firent éprouver les premiers sons qu’elle tira de la harpe étaient mêlées d’un sentiment pénible. Il n’eût pas, pour toutes les richesses de l’univers, quitté la place qu’il occupait près d’elle ; cependant il soupirait presque après la solitude : il eût voulu savourer à loisir les diverses émotions qui l’agitaient.

Flora fit succéder au récitatif monotone et mesuré du barde un air noble et pompeux qui, dans les premiers âges, avait été un chant de combat. Après quelques accords essayés au hasard, elle en fit entendre de sauvages et d’une nature particulière, qui semblaient former une espèce d’harmonie avec le bruit éloigné de la cascade et le doux frémissement de la brise du soir se jouant dans les feuilles d’un tremble dont les rameaux s’étendaient sur