Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/189

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poisson, de gibier, etc., qui se trouvaient placés au haut bout de la table, et sous les yeux mêmes de l’hôte étranger. Plus bas figuraient des pièces énormes de mouton et de bœuf, qui, si ce n’eût été l’absence du porc[1] abhorré dans les Highlands, auraient rappelle le festin grossier des amants de Pénélope ; mais le plat du milieu était un agneau d’un an, appelé a hog in hur’st[2] rôti en entier, placé sur ses jambes et tenant entre les dents un bouquet de persil. On l’avait probablement servi dans cette attitude pour satisfaire l’orgueil du cuisinier, qui, dans le service de la table de son maître, se piquait plutôt d’abondance que d’élégance. Les flancs de ce pauvre animal furent attaqués avec fureur par les hommes du clan : les uns faisaient usage de leur dague, les autres de couteaux, qui se trouvaient ordinairement dans le même fourreau que leur poignard ; enfin l’animal ne présenta bientôt plus qu’un objet mutilé et mis en pièces. Dans la partie la moins élevée de la table, les vivres semblaient être d’une espèce plus grossière encore, mais on les servait avec abondance. Du bouillon, des oignons, du fromage, et les restes du banquet, étaient la part des fils d’Ivor, qui assistaient à la fête en plein air.

Les boissons étaient fournies dans la même proportion et d’après le rang des convives. D’excellent vin de Bordeaux et de Champagne était libéralement distribué à ceux qui entouraient le chef ; du whisky pur ou étendu d’eau et de la bière forte étaient servis aux convives placés plus bas. Cette inégalité de distribution ne semblait pas causer le moindre mécontentement, chacun comprenant que son goût devait se régler d’après le rang qu’il occupait à la table : aussi les tacksmen et leurs tenanciers répétaient-ils toujours que le vin était trop froid pour leur estomac, et ils demandaient sans cesse, comme s’ils avaient eu la faculté

  1. La chair de porc, de quelque manière qu’on la préparât, fut long-temps en horreur parmi les Écossais ; ils n’en mangent que depuis peu d’années, encore n’est-elle jamais pour eux un plat favori. Le roi Jacques porta ce préjugé en Angleterre, et on sait qu’il abhorrait le cochon presque autant que le tabac. Ben Johnson a rappelé cette particularité lorsqu’il fait dire à une Bohémienne examinant la main du roi :
    « D’après toutes ces lignes, vous devez aimer un cheval, un lévrier, mais nullement la chair de porc. » (Les Bohémiennes métamorphosées.)
    Le banquet que Jacques eût voulu proposer au diable se serait composé d’une tranche de porc, d’une tête de morue, et d’une pipe de tabac pour la digestion. a. m.
  2. Phrase écossaise qui signifie un agneau rôti tout entier, avec la tête et les pieds. a. m.