Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/166

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Ils ramèrent droit à la bouche de la caverne ; et bientôt, retirant leurs avirons, ils abandonnèrent à l’impulsion qu’ils lui avaient donnée la barque, qui doubla la pointe ou plate-forme du rocher sur lequel le feu était allumé. L’esquif, après avoir parcouru environ deux fois sa longueur, s’arrêta à l’endroit où l’on montait dans la caverne, voûtée à sa partie supérieure, par cinq ou six larges rebords de roc, si faciles et si réguliers, qu’on eût pu dire que c’était un escalier naturel. Au même instant on jeta une quantité d’eau sur le feu, qui s’éteignit en sifflant, et la lumière disparut. Quatre ou cinq vigoureux montagnards enlevèrent Waverley de la barque, le mirent sur ses pieds et le conduisirent vers l’intérieur de la caverne. Il fit quelques pas dans l’obscurité, en marchant, avec ses guides, vers un bruit confus de voix qui semblaient sortir du rocher ; et après avoir dépassé l’angle que formait cette route souterraine, il vit devant lui Donald Bean Lean et toute sa maison.

L’intérieur de la caverne, très-élevée en cet endroit, était éclairé par des torches de bois de pin qui jetaient en pétillant une lumière brillante, et répandaient une odeur forte quoique non désagréable. À cette clarté se mêlait celle d’un grand feu de charbon de bois, autour duquel étaient assis cinq ou six Highlandais armés, tandis que d’autres, enveloppés de leurs plaids, étaient couchés pêle-mêle dans les enfoncements de la caverne. Dans une ouverture du rocher, que le voleur appelait facétieusement son spence ou garde-manger, étaient pendus par les pieds un mouton ou une brebis et deux vaches tués récemment. Le principal habitant de cette singulière demeure, accompagné d’Evan Dhu qui lui servait de maître de cérémonies, vint à la rencontre de son hôte, et lui parut bien différent de ce qu’il se l’était représenté. D’après la profession qu’il exerçait, le lieu désert qu’il habitait, les visages sauvages et guerriers dont il était entouré, toutes choses bien faites pour inspirer de l’effroi, Waverley s’attendait à trouver un homme à formes gigantesques, à figure farouche et terrible, que Salvator eût placé au milieu de ses groupes de bandits[1].

  1. Une aventure très-semblable à celle-ci arriva à M. Abercromby de Tully-Body, grand-père du lord Abercromby actuel, et père du célèbre sir Ralph. Lorsque ce gentilhomme, qui vécut dans un âge très-avancé, vint s’établir dans le Stirlingsbire, ses vaches lui furent plusieurs fois volées par le fameux Bob-Roy ou quelqu’un de sa bande, et il fut enfin obligé, après avoir obtenu un sauf-conduit, de faire au Cateran une visite semblable à celle de Waverley chez Bean Lean. Roble reçut avec beaucoup de politesse, et le plaignit des vols qu’on lui avait faits, dit-il, par quelque méprise. Il servit à M. Abercroniby des tranches de deux de ses propres vaches qui étaient pendues par les pieds dans la caverne, et les fit reconduire à son manoir après en avoir reçu la promesse de lui payer un petit black-mail, en considération duquel Rob-Roy lui promit non seulement qu’on ne lui volerait plus son bétail à l’avenir, mais même qu’il lui ferait rendre ce qui lui avait été pris par d’autres maraudeurs. — M. Abercromby rapporte que Rob-Foy affecta de le regarder comme un jacobite et un ennemi de l’Union. Le laird n’avait point cette opinion ; mais il jugea à propos de ne pas détromper son hôte, pour ne pas en venir à une discussion politique dans une telle situation. C’est en 1792, je crois, que cette histoire me fut racontée par le vénérable gentilhomme qu’elle concerne.a. m.